Le papillon.

Encore un. J'avais réussi l'exploit de casser encore un miroir. Je ne m'étais regardée dedans que quelques secondes, mais cela avait suffi pour que cette petite chose prenne brusquement vie, et se brise en mille morceaux. Mes yeux commencèrent à piquer, et les larmes dévalèrent mes joues. Des clameurs me parvinrent de mes serviteurs, me demandant toutes d'arrêter de pleurer. J'essayais de refréner les sanglots qui m'enserraient la gorge, mais en vain. Des trombes d'eau s'abattirent sur ceux qui se trouvaient en contrebas. Dans mon chagrin, j'entendis des pas précipités de tous ces gens payés pour me servir et qui pourtant se sauvaient comme des lapins par peur d'être noyés.

- Ne pleurez pas votre majesté, me dit une petite voix.

Je baissais la tête et vis ma nourrice. Elle était trempée jusqu'aux os malgré le parapluie qu'elle tenait, et commençait à frissonner. Prise de pitié pour elle, je la poussais avec mon museau devant la cheminée et soufflais pour allumer un feu. Elle s’avança, prit la chaise qui avait survécu à la noyade pour s'y asseoir, et tendit les mains pour se réchauffer.

- Pourquoi n'êtes-vous pas partie avec les autres Mady, lui demandais-je ?
- Parce que vous restez ma maîtresse, madame.

Je soupirais, et des cercles de fumée sortirent de mes naseaux. Je tassais mon gros corps sur lui-même pour rentrer dans cet espace trop petit pour moi, et avançais prudemment vers elle. Je la regardais de mes yeux bleus immenses, alors qu'elle se relevait pour poser une main maladroite sur ma mâchoire.

- Je sais ce qui vous est arrivé. Les autres ne comprennent pas, mais moi si. Vous resterez toujours la petite princesse que j'ai élevé malgré ce qui vous est arrivé.
- Non, Mady. Regardez-moi.

Je tournais sur moi-même, remuant des tas de poussières sur mon chemin, pour lui permettre d'approfondir son examen. Elle me fit signe de m'arrêter et posais sa main sur une de mes ailes noires. Elle en caressait l'extrémité du bout du doigt, les yeux perdus dans le vague.

- Avez-vous remarqué que tes ailes et ta peau ont des reflets rouge, mon ange ?

Je secouais la tête, ne comprenant pas où elle voulait en venir. J'étais défigurée, condamnée à vivre dans ce corps difforme pour l’éternité, et rien ne pourrait changer cela. Comme je le lui demandais tous les jours depuis des années, elle appuya son regard sur certaines parties de mon corps comme ce qu'il restait de mes hanches, ou mes bras anormalement petits. Elle fit le tour, enjamba ma queue, et toucha ma seconde aile. Elle était en tous points identique à sa jumelle, mais Mady la regardait avec un mélange de fascination, et de circonspection.

- Je suis désolée, votre altesse. Je suis entièrement responsable de ce qui vous est arrivé.

Une larme qu'elle n'avait pas eu le temps de retenir glissa sur sa joue. Elle sortit son mouchoir et s'essuya alors que je fis tous les efforts du monde pour me mettre à sa hauteur. Ce qui était impossible vu ma grande taille.

- Non, Mady. Je suis la seule responsable de mon malheur, de par les choix que j'ai fais.
- Mais...
- Non. Si j'ai été maudite il y a de ça de nombreuses années, et que je ressemble à un monstre je ne peux m'en prendre qu'à moi. Et voyez-vous, chaque jour c'est pareil. Chaque jour je me lève et j'espère avoir repris mon corps d'avant. Mais non. Je suis condamnée à vous voir tous vieillir, et ne jamais mourir pour rester aux côtés de l'horreur que je suis devenue.

Mady s'approcha de mes naseaux, et posa sa tête contre la mienne. Elle caressa ma peau noire et écailleuse comme une vaine tentative de la lisser et de lui faire retrouver son éclat d'antan. Je soupirais expédiant de nouveau de la fumée de mon gros nez. Ma nourrice sortit son mouchoir et commença à tousser. Elle était ma domestique la plus loyale, mais aussi celle qui supportait de moins en moins mon feu. Pourtant, elle était toujours là, à me réconforter quand chaque jour qui passait j'étais déçue. Elle me fit signe de me redresser, ce qui me fit rouler des yeux. Bon gré malgré je m’exécutais, et me grandis autant que la pièce me le permettait.

- Vous savez ce que c'est votre problème, votre altesse ?

Surprise par ce changement de sujet soudain, je relevais trop vite la tête et la cognais dans les poutres du toit. N'attendant pas ma réponse, Mady se redressa autant que sa petite taille le lui permettait, et reprit la parole.

- Vous vous accrochez trop à ce que vous étiez. Depuis des années que nous sommes ici, avez-vous pris la peine d'essayer de remettre un de vos pieds griffus dehors ? Avez-vous essayé de vous servir de ce « corps trop gros » pour citer vos termes ? Je ne dis pas que la malédiction ne sera jamais levée. Je dis juste qu'en attendant vous ne pouvez pas venir devant un miroir tous les matins, et manquer de noyer tout le monde juste parce que vous ne vous aimez pas.

Je me tenais toujours là. Jamais Mady ne se serait permise de me parler de cette façon avant. Tout comme personne ne se serait jamais permis de se sauver en me voyant pleurer. Je promenais un regard sur cette pièce que je ne quittais jamais, et vis ces objets cassés au sol, ce  lit cassé dans lequel je ne dormirai plus. Je restais tournée vers le passé alors que chacun essayait de se construire un semblant d'avenir dans cet espace temps pourtant figé.

- Vous savez que personne n'est venu ici depuis des années, n'est ce pas ? Vous savez que personne ne le peut, et que personne en dehors de nous ne vous verra. Venez.

Voyant que je ne bougeais pas d'un iota, elle passa derrière moi et entrepris de me pousser sans succès. J'esquissais ce qui pourrait ressembler à un sourire si ma face n'était pas noire et écailleuse, en la voyant se débattre avec ma queue pour me faire avancer. Je me levais de bon gré et me dirigeais vers le balcon. Le parc autrefois si bien entretenu était à présent envahi d'herbes dans lesquelles certains se promenaient. Mady se posta à côté de moi, et me demanda de déployer mes ailes.

- Je ne sais pas voler, ne l'oubliez pas.
- Vous ne saviez pas marcher quand vous êtes née non plus. Et pourtant vous avez appris. Là vous allez faire pareil. Allez.

Je me redressais et les déployais. Le soleil passait à travers et ce fut la première fois que je les voyais réellement. J'aperçus pour la première fois la beauté des reflets qu'elles avaient, leur parfaite symétrie, ou encore cette couleur noire brillante. La douleur disparut, alors que je tentais maladroitement de bouger. C'était donc ça qui me manquait depuis des années. Je m'étais cantonnée à vivre dans les espaces que j'occupais avant, car je ne voulais pas voir que j'avais changé, et mon corps écailleux me l'avait fait payer. Mady se tenait toujours à mes côtés, les bras croisés dans son dos. Un sourire timide apparut sur son visage alors que je vis le mien se refléter dans ses prunelles grises.

- Vous avez toujours été votre propre prisonnière, majesté. Quitte à ce que vous soyez obligée de vivre sous cette apparence pour une durée indéterminée, ne vous faites pas plus de mal que la malédiction ne vous en a fait.
- Je tacherai de m'en souvenir.

Pendant qu'elle me parlait, je déplaçais doucement mes ailes, comme si elles allaient se casser. Elles me semblaient aussi fines et fragiles que celles d'un papillon, et je me demandais comment elles pourraient supporter mon poids sans céder. D'un coup, tout me parut dérisoire. La taille de mon postérieur que j'ai toujours trouvé trop gros, la présence de mes écailles qui conféraient à ma peau un aspect rugueux, ou encore ce feu que je crachais et qui m'éloignais des gens qui étaient censés m'être proches. Je mis tout cela de côté, et pris une grande inspiration. J'ouvris mes ailes et m'envolais.

Hello, bravo pour ton texte, je le trouve plutôt bien écrit et on ressent pas mal de choses: tristesse, regret, attachement envers la nourrice. J'aime bien ton personnage de dragon et le fait que la nourrice cherche à lui faire voir les choses autrement.
Par contre, j'ai du mal à identifier un trait de caractère dans ton texte. Même si on a beaucoup de sentiments circonstanciés, ce qui est logique dans la narration et qui est plutôt bien géré.

Je n'ai pas grand chose à dire concernant la forme. Quelques phrases qui m'ont semblé bancales:

"Pourtant, elle était toujours là, à me réconforter quand chaque jour qui passait j'étais déçue." Je pense qu'il y aurait moyen de faire quelque chose de plus fluide.

"Bon gré malgré": l'expression exacte, c'est plutôt bon gré, mal gré. Et j'ai retrouvé une autre occurrence de "gré", peut-être un tic d'écriture? Mais à ce stade, c'est du chipotage.

Encore bravo pour ton texte

Ginevra a écrit:Hello, bravo pour ton texte, je le trouve plutôt bien écrit et on ressent pas mal de choses: tristesse, regret, attachement envers la nourrice. J'aime bien ton personnage de dragon et le fait que la nourrice cherche à lui faire voir les choses autrement.
Par contre, j'ai du mal à identifier un trait de caractère dans ton texte. Même si on a beaucoup de sentiments circonstanciés, ce qui est logique dans la narration et qui est plutôt bien géré.

Je n'ai pas grand chose à dire concernant la forme. Quelques phrases qui m'ont semblé bancales:

"Pourtant, elle était toujours là, à me réconforter quand chaque jour qui passait j'étais déçue." Je pense qu'il y aurait moyen de faire quelque chose de plus fluide.

"Bon gré malgré": l'expression exacte, c'est plutôt bon gré, mal gré. Et j'ai retrouvé une autre occurrence de "gré", peut-être un tic d'écriture? Mais à ce stade, c'est du chipotage.

Encore bravo pour ton texte

Merci beaucoup pour ta réponse, je t'avoue que je ne me suis pas relue lorsque je l'ai publié... Mais c'est cool de me dire ce qui va pas du coup
Pour le trait de caractère au depart j'avais choisi le manque de confiance en soi. Mais ce qui est finalement le plus ressorti c'est le regret d'avoir tout détruit. (Vu comme ça, je sais pas si je rentre dans les clous de la consigne )

Hello ! Bravo pour ton texte ! ça se lit très bien, tu caractérises bien le personnage et j'aime que ce soit un dragon. Mais je pense que tu aurais pu trouver une scène plus équivoque ? en tout cas, qui passe moins par l'introspection.
Merci pour ta participation !