Le locataire sous le dolmen

L’aube pointait à l’horizon, et colorait la lande Bretonne de ses teintes bleu pâle. Un rouge gorge se posa sur le dolmen recouvert de mousse qui surplombait la colline. Il fut très vite chassé par un petit rire tout droit sorti du terrier au pied d’un des menhirs.

Des globes brillants s’approchèrent de la surface. Un nez pointa, puis une capuche vert émeraude jailli de terre. Un petit être aux longues oreilles poilues se gratta le menton en jetant un regard à la baie de Douarnenez. La mer était calme, il y avait très peu de vent sur la côte ce jour-là. Il ne regrettait pas d’avoir migré aussi loin à l’ouest, quelques centaines d’années plus tôt. Cet été, sa forêt natale dans le Morbihan avait brûlée. Peut-être un jour irait-il à Ouessant rejoindre ses cousins germains. Ce terrier que ça tente lui louait convenait encore parfaitement à ses besoins.

En contrebas, une voiture louvoyait dans les corniches au-dessus de la plage. Un renardeau surpris le conducteur qui dérapa, puis percuta la glissière de sécurité. Bien vite, des filets de vapeurs blanches s’élevèrent du capot de la voiture. Adossé au monolithe, l’observateur amusé tergiversa comme à son habitude sur ce qu’il convenait de faire. Le hasard faisait toujours étrangement les choses, quand un vacancier un peu trop téméraire s’aventurait près de son terrier.

Piqué d’une soudaine curiosité et envie d’agir, l’être aux oreilles pointues rabattit sa capuche, puis s’élança à travers les fourrés à la rencontre de cette n-ième accidenté, un sourire malicieux jusqu’aux oreilles. Dissimulé sous les fougères et ombres des pins et cyprès, l’être trottina jusqu’à la première rencontre que lui réservait cette nouvelle journée.

— Saleté de renard et saleté de bagnole ! s’écria l’homme, la tête enfouie sous le capot, quelque part entre la batterie et les fusibles.
—Hum, s’annonça le locataire de sous la colline.

L’homme de grande taille, en pull et pantalon noir, se retourna et dévisagea le nouveau venu. Les yeux comme des soucoupes de l’être encapuchonné brillaient de milles éclats. L’accidenté qui approchait la cinquantaine, Parisien comme semblait l’indiquer sa plaque d’immatriculation, ne vit face à lui qu’un jeune Breton d’une vingtaine d’années, en marinière et jean.

— Vous avez un souci ? susurra l’être aux oreilles poilues derrière son déguisement.
— Ça ne se voit pas ? Ras-le-bol de ces histoires de mariages et de déménagements à la noix. Quelle idée de venir s’installer dans le trou-du-*** du monde !

Le sourire qu’arborait le jeune breton s’allongea de plus belle. Si y a bien une chose qu’il avait toujours détesté, c’étaient les spécimens d’ingrats comme celui qu’il avait face à lui. Un claquement de doigt dans son dos et le pneu avant droit du véhicule creva dans un pshit aiguë de ballon de baudruche. Le visage de l’homme vira au rouge. Il asséna un coup de pied dans le pneu, puis poussa un cri de douleur.

— Manquait plus que ça, une roue de crevée ! Je t’en foutrai des cérémonies à pétaouchnoque ! Et vous, restez pas planté là comme un idiot !

Nouveaux claquements de doigts et nouveaux beuglements d’enragé. Un moteur en rade et quatre pneus crevés. L’homme ouvrit la porte arrière et jeta rageusement sur la chaussée le bouquet qu’il avait acheté en vitesse sur le trajet. Il prit son téléphone et composa un numéro.

— Ben voyons, à Brest ! Comment ça, vous ne pouvez pas venir tout de suite ? Et dire que c’est pour ça que je paye mon assurance ! s’exclama-t-il une fois de plus.

Les doigts dans sa barbe, l’être aux longues oreilles estima qu’il était préférable que le bonhomme en question n’assiste pas à la cérémonie de sa nièce. Tout le monde s’en porterait mieux. Il disparut d’un dernier claquement de doigt, emportant avec lui la gerbe multicolore de fleurs. Elle compléta les montagnes de bracelets, lunettes, tubes de crème solaire, parapluies et autres cannes-à-pèche qui s’amoncelaient dans les galeries et pièces secrètes de son antre. Il y aurait bien un aimable visiteur à récompenser dans la journée !