Atelier 2022-26-06 La Racoleuse de chair (passage ajouté à mon roman)

Cela était bien la première fois qu’Aldiem, le pérestentien, voyait de ses propres yeux une racoleuse de chair. Il n’en connaissait d’elle que les fins détails ouvragés au sein des livres et manuscrits qui lui fut sommé de lire lors de son apprentissage. Bien que la représentation illustrée dans les ouvrages du fort pût ressembler à des gribouillis enfantins basés sur des fantasmes horrifiques, il s’avérait, avec du recul, que la similitude entre représentation et réalité était finalement plus importante que l’on aurait pu croire. Cette chose avait tout de la forme qui viendrait hanter nos nuits. Il se souvenait du jour où il lisait ce fameux manuscrit, surveillé par Vanekir et Balveth, le deuxième volume du Guide du malin. À cette époque il était plutôt désabusé en voyant cette illustration montrant une forme quelconque déambulant à l’aveuglette. Aujourd’hui il en était bien loin de son ignorance enfantine, il ne pouvait décemment plus mettre en doute l’existence d’une telle créature.

La racoleuse de chair se déplaçait tant bien que mal, vacillant lentement, grippant le sol de ses griffes. À son passage elle détrôna un arbre de son appui, mais il resta debout, penché. Soudainement, alors qu’elle arrivait non loin d’Aldiem, celle-ci se stoppa net tout en étirant le creux disgracieux formé sur son visage comme si elle humait une odeur particulière. Elle se pencha, tournant sa tête de chaque côté pour trouver l’odeur inattendue qu’elle venait de sentir. Aldiem fit tourner sa lame dans sa main comme pour se donner le courage d’engager les hostilités. Il engagea les premiers pas de sa charge au milieu des feuilles mortes et des racines. Il déchaussa du sol une botte de terre quand-t-il prit position pour porter son premier coup. La lame effilée de l’épée traversa la chair mollassonne de l’immondice vagabonde. Brutalement, la large main de la racoleuse fracassa le sol, espérant meurtrir le guerrier aguerri. La plaie fraichement ouverte de la créature laissa échapper un liquide noir et visqueux mêlé d’un plasma graisseux rougeâtre à l’odeur pestilentiel. La racoleuse, quand-t-à elle, n’eut récoltée entre ses griffes que la broussaille et la litière forestière. La main pleine de terre, la créature amena celle-ci jusqu’au creux de son visage, inspira fortement. Crispée de constater le manque d’odeur de sang, elle se tortilla le cou avant de brasser l’air autour d’elle d’un cri sauvage et aiguë qui assourdit le guerrier. Aldiem ne pouvait garder posture tant le son attaquait ses tympans. Renfermant de ses mains l’accès au pavillon de ses oreilles, il était à la merci de la beuglante racoleuse. Les troncs vibraient et les branches craqueler. La créature secoua ses bras de rage dans tous les sens espérant blesser le malandrin qui venait de la saigner. Tant bien que mal, Aldiem présenta le plat de sa lame face aux larges griffes qui pouvaient le happer. Le cri diminuait. Il fut brusquement projeté dans les broussailles, atteint par les mouvements maladroits de la racoleuse. L’épée qui avait fait office d’écu se perdit dans l’obscurité, frappée.

La créature s’apaisa soudainement laissant son cri s’évanouir. Elle se tourna vers son agresseur qui s’appuyait tant bien que mal contre les buissons qui l’avaient amortit. Sa frénésie passée avait élargit sa plaie qui se déchirait. Elle passa ses griffes autour de sa blessure, sa graisse s’assembla et l’un de ses doigts se dissocia en plusieurs filaments. La monstruosité s’adonna à la haute couture avec sa graisse. Aldiem n’avait aucune idée de ce que celle-ci pouvait farfouiller. La créature agitant ses griffes, recousu sa chair ne laissant plus qu’une suture grossière. Il allait s’en dire qu’un affrontement direct à l’épée serait laborieux, une bataille d’usure.

Un appel retint l’attention d’Aldiem. La voix du soldat malhabile  s’entendait à tue-tête, chevrotante.

-   Monseigneur ! Où-êtes vous ? J’eus entendu bruit ! Un vacarme digne d’Épénor ! Vous êtes là ?!

Aldiem n’y répondait point, il avait déjà bien à faire avec la racoleuse de chair, il n’était point judicieux de s’encombrer d’un tel personnage. Mais, contre toute attente, cette perte d’inattention qu’avait dorénavant Aldiem, lui offrait une opportunité. Le monstre chargea le guerrier. Il en fallut de peu pour que la créature ne croise le corps frêle, en comparaison, de son ennemi. La créature se perdit contre un arbre. Celui-ci craquela puis se déchaussa avant de s’écrouler lourdement. Profitant de l’hébétement, Aldiem ouvra sa bouche comme pour lancer un cri ou entamer un chant quelconque. Une lueur chatoyante vint gagner son torse, se propageant jusqu’à sa gorge. Malgré son attirail et son équipement, la lumière ne fut pas obstruée. Un feu digne des grandes créatures ailées s’échappa de sa bouche pour ainsi s’attaquer à la racoleuse. Une odeur de tripe grillé et de barbaque à l’odeur accommodante vint agressé l’environnement. Quand les flammes s’estompèrent, le corps de la créature était marquée de plusieurs cloques et brûlures. Les crépitements de sa chair encore fumante, la réaction impassible de la créature renforçaient l’atmosphère macabre de l’affrontement. Celle-ci scrutait désormais derrière elle, en direction du cracheur de feu, comme pour donner l’illusion de voir son agresseur. Aldiem ne faisait lui aussi plus bruit, inquiet, ne sachant quelle inattendue réaction lui préparait l’engeance. La voix désagréable du simplet soldat se faisait de plus en plus distincte.

-   Si c’est une farce Monseigneur, cela n’est point amusant ! Je suis capable de vous occire par mégarde si vous sortez des ombres sans prévenance ! Vous êtes prévenu ! criait-il dans le bois.
 
Les pas du pauvre effrayé compressaient et foulaient les feuilles, la mousse et les brindilles. Malgré la tension, Aldiem libéra de sa bouche des paroles de déplaisance.

-   Sainte Perestentia, faites que cet idiot ne vienne point ici, murmurait-il tel un ecclésiastique.

Sa silhouette se dessina derrière les arbres avant que celui-ci n’apparaisse inopinément. Les jambes arqués, ses mains s’accrochant à sa lame tremblante, comme un marmot avec sa peluche. Cette apparition n’était pas au goût d’Aldiem désappointé. Les premières pluies de la nuit accompagnées le soldat gauche. La créature restait immobile pendant que les premiers cracha tombaient du ciel.

-   C’est vous Monseigneur ? demandait-il avant de constater qu’il s’agissait bien de lui. Je vous ai enfin retrouvé ! Que se passe… commençait-il avant de remarquer l’immondice à laquelle celui-ci faisait face, puis se tut de terreur.

L’engeance haletait de nouveau, libérant plusieurs grondements de rage étouffés. Cette nouvelle présence dans les environs n’échappa nullement à la racoleuse qui le renifla grossièrement. Le visage de l’arrivant se décomposa, terrifié. L’envie de s’esbigner ne manquer point pourtant le malheureux ne pouvait se mouvoir. Un énième cri de la racoleuse vint brusquer le pauvre poltron qui s’écroula au sol presque inconscient, les muscles tendu. Dans son malaise, il lâcha son épée et se mit à trembler de nervosité et de peur. Il fut prit de sudation et gémissait de plus en plus fort sans discontinuer. Aldiem, lui, tenait bon, bouchant ses oreilles du mieux qu’il put compte tenu de la petite distance qui le séparait de l’être sinistre et cauchemardesque. Aldiem ayant égaré son arme se précipita au côté de son pitoyable compagnon. La racoleuse leva son bras vers le ciel, prêt à exécuter le soldat accablé par ses maux. Le pérestentien patina sur le sol avant de se munir précipitamment de l’arme du soldat malade. Profitant du mouvement de la créature, Aldiem éviscéra, à l’aide de la lame, le large ventre de la maudite atrocité aveugle et beuglante. Une nouvelle fois saignée, la créature releva la tête pour hurler une nouvelle fois. Le guerrier profita de cette taillade pour s’y plonger du visage jusqu’au torse. Les boyaux et les tissus internes lui collait au visage. Une odeur de cadavre pourri et de tripe le prit à la gorge. Aldiem propagea au sein de cette affreuseté une couche de flamme étendue qui vint s’évacuer brusquement par son visage qui se déchiqueta à moitié. Les flammes écharpèrent peu à peu le corps disgracieux de la racoleuse et faisaient naître dans sa chair des cloques et des brûlures infâmes. Les cris de celle-ci étaient désormais bien différents, des hurlements de détresse. Cette combustion consumait avec vivacité le corps de l’insanité. Puis, le silence, le souffle de la nuit redevenait audible. Aldiem s’évada de la carcasse fumante recouvert d’un liquide épais et sombre et d’une odeur de viande grillée nauséabonde. C’est à cet instant qu’il entendit le premier piaillement depuis son entrée dans la forêt de Balm. Ses épaules se relâchèrent peu à peu et la détente prenait place. Il relâcha l’arme dont il avait fait l’emprunt. Incapable de penser et vacillant un peu plus à chaque pas, il vint s’assoir lourdement, presque s’écrouler, contre un arbre. La pluie s’abattait sur la forêt et ses alentours battante sur les branchages et liquéfiant la terre. Un sifflement survint aux oreilles d’Aldiem qui ferma les yeux d’évanouissement. Le feuillage de l’arbre protégeait le pérestentien de l’orage qui s’installait.