Le Mange-rêve

C’est à la première heure de la nuit que Théo l’attendait.
Il savait que comme tous les soirs, le monstre sans visage qu’il appelait le “mange-rêve”, viendrait le trouver dans sa chambre.
Le mange-rêve était le plus terrible de tous les cauchemars; le mange-rêve pourchassait ses victimes afin d’arracher leurs âmes, ne reculait devant rien et ne ployait le genou devant personne lorsqu’une nouvelle proie se présentait.
Il avait un goût particulier pour les enfants, pour leur esprit si pur et leurs rêves si doux.
Mais cette nuit, Théo avait décidé d’en découdre. Pour ses camarades tombés entre ses longues griffes. Pour l’avenir de centaines d’autres comme lui.
Armé d’un simple sabre laser que le Père Noël lui avait apporté l’année dernière, il attendait la venue de son ennemi juré, sur ses gardes. L’air revigorant venu de sa fenêtre entrouverte lui redonnait du courage, lui qui s’imaginait comme un rebelle solitaire face à l’empire du mal.

Lorsque minuit sonna, l’obscurité avait tout englouti dans sa chambre.
Même sa veilleuse batman s’était éteinte.
C’est à ça qu’il reconnaissait sa présence.
La disparition de toute source de lumière.
La vague noire qui engloutissait tout autour de lui, meubles comme lits, peluches comme petites voitures; tout disparaissait pour le laisser seul, livré à lui-même, face au néant.

Une ombre humanoïde plus sombre que cette vague s’éleva au-dessus de la porte, s’étirant sur le plafond comme on étire l’élastique d’un lance-pierres.
Théo retint son souffle, son sabre laser plaqué contre son cœur battant.
Il l’observa sans un bruit, se glisser tel un serpent au-dessus de sa tête.
Le mange-rêve était en train d’engloutir une à une toutes les étoiles fluorescentes collées autour du lustre. Ce n’est que lorsque l’ampoule éclata et retomba en milliers de brisures sur son front que le petit garçon cria.
D’ici, personne ne pourrait l’entendre, pas même ses parents; car il savait qu’il n’était plus tout à fait dans sa chambre. Il n’aurait su l’expliquer, mais il avait senti qu’il était… ailleurs.
Le monstre se retourna, affichant de grands yeux rouges où brûlaient des silhouettes, et sans plus attendre, se jeta sur Theo.

Sa forme noire formait une fumée qui tournoyait telle une tornade autour du petit garçon.
Paniqué, il frappa de son épée luminescente le vide, ou ce qui y ressemblait, à la manière du célèbre Jedi dont il avait tout appris. Et alors qu’il pensait que l’épaisse noirceur qui l’attaquait s’était dissipée, il fut surpris de découvrir que derrière lui, s’était reformé l’immense silhouette du mange-rêve.
Le monstre saisit de sa main aux griffes gigantesques la seule arme de notre héros.
Et la brisa sous sa poigne infernale.

Theo s’écarta, vivement, trébucha puis tomba à terre.
Un filet de lumière bleue s’échappa de son sabre brisé en deux, flotta dans les airs puis fut absorbé par la gueule grande ouverte, béante, et comparable à un gigantesque trou noir du mange-rêve. Cette vision d’horreur finit de le figer sur place. Il put même sentir quelques gouttes imprégner le fond de son pyjama, signe qu’il s’était laissé envahir par la terreur.

Désormais, il n’aurait plus que ses poings pour défaire cet être à la fois fait de matière et de vide. Il rassembla alors tout son courage et envoya un coup de pied droit dans le ventre du monstre, encore figé sous sa forme matérielle, qui se plia en deux.
Ses deux ans de karaté lui avaient enseigné des techniques de combat dont il pourrait user lors de cet affrontement mortel.
Alors, il profita de la faiblesse de son adversaire pour lui porter plusieurs autres coups, avant qu’il ne puisse se transformer en fumée inatteignable.
Le dernier coup de genou eut une conséquence inattendue, aussi bien pour le monstre que pour Théo. Sous la puissance de sa frappe, le mange-rêve projeta hors de son immense gosier, une guirlande de sphères brillantes, aussi blanches et pures que la première laine d’un agneau.
A peine sorties de leur prison, elles se réfugièrent dans la bouche de Théo qui fut contraint de les avaler de force. C’est ainsi qu’elles se glissèrent sous sa peau diaphane, diffusant leur lumière à travers ses veines et qu’elles vinrent se rejoindre au centre de son poitrail. Theo sentit leur lumière pure l’inonder, battre au rythme de son cœur et s'immiscer dans ses poumons. Ce contact le brûlait, mais c’était une brûlure douce, qui lui faisait aussi mal qu’elle lui donnait de la force.
Ce surplus de lumière attisa l'appétit du mange-rêve, qui se précipita sur le petit garçon, avide de dévorer son âme dont la pureté dépassait maintenant toutes les âmes qu’il avait pu avaler dans le passé. Théo se laissa faire lorsque ce monstre terrifiant lui tomba dessus.
Il n’eut qu’à enlever le haut de son pyjama, dévoilant une lumière telle qu’il n’en existait pas en dehors d’un corps d’enfant.

Le mange-rêve, aveuglé alors, se désintégra. A peine eut-il eu le temps de poser son étreinte glaciale sur lui et ses griffes acérées de traverser sa peau si fine d’humain, qu’il se consuma.
En quelques secondes, toute la matière dont il était composé se mit à flotter dans l’air telle des cendres. Elles se tassèrent dans un coin de ce qui était redevenu la chambre de Théo, laissant des traînées noires aux emplacements où le monstre s’était étendu, avant de libérer d’autres sphères lumineuses, qui, une à une, s’éclipsèrent par la fenêtre restée ouverte de la chambre, et qui enfin, purent retrouver leur chemin vers le ciel étoilé.


FIN

J'adore !
C'est captivant, clair et précis. L'ambiance y est carrément. Ca été un véritable plaisir de vous lire. Hâte de voir les suites.

Bonjour, merci pour votre retour

Super sympa comme atmosphère ! On se laisse captiver facilement par l'angoisse, l'ennemi, autant que le petit héros si mignon et si déterminé ! 

Trop chou ! J'aime beaucoup, ça fait un peu conte, c'est mignon ^^ J'ai pas eu de mal du tout à suivre l'action, c'était très fluide, mais je me demande s'il n'aurait pas y avoir des phrases un peu plus courtes par moment pour ajouter un peu plus de tension...
En tout cas, bravo pour ton texte, c'était très agréable à lire ^^

Très sympa ce petit combat d'un enfant. J'ai bien aimé l'arrivée du monstre, j'étais à fond dedans.

Par contre, si son sabre émet de la lumière, il ne fait pas noir alors dans la chambre ? A moins qu'il ne l'allume bien après.

Bonjour,
Merci pour votre retour
En effet le sabre émet de la lumière mais cette lumière n'est pas assez puissante pour percer l'obscurité, la noirceur dans laquelle le monstre plonge la chambre n'étant pas tout à fait banale.
J'espère que cette explication pourra vous éclairer

J'ai beaucoup aimé ! Ça fait conte pour enfant et c'est super bien raconté
Ça se lit tout seul même si certaines phrases pourraient être un peu raccourcies ou simplifiées pour rendre l'ensemble plus fluide
Bravo !