Sans prise de temps

Julia suivait sa mère de loin, à reculons, au contraire de ses petites sœurs qui couraient autour d’elle en riant. Comment pouvaient-elles être de la même famille ? Sa mère et ses sœurs étaient aussi sociables qu’elle était réservée. Et ce jour-là, son envie de parler ou de visiter cette maison était proportionnelle à son goût pour les épinards, et encore, en cet instant, elle aurait été capable d’en avaler une cuillère pour pouvoir rester seule dans la voiture.
— Ma chérie, dépêche-toi s’il te plaît, on est en retard, entendit-elle sa mère crier alors que celle-ci frappait à l’imposante porte d’entrée de la vieille bâtisse en vente.
— Oui, oui, on est toujours en retard dans cette famille de toutes façons, ça ne change pas, grommela Julia pour elle-même, en observant une des petites rejoindre sa mère.
La grande sœur leva les yeux vers la façade grisâtre et les tuiles presque noires. Elle ne savait que penser de ce lieu. Si elle était sûre de ne pas vouloir y habiter, elle ressentait néanmoins une sensation étrange, une sorte d’attirance et de curiosité. Elle entendit sa mère s’adresser à celle qui venait d’ouvrir la porte :
— Bonjour, pardon pour notre heure d’arrivée, nous sommes là pour la visite, Mme Delrieu.
— Ne vous inquiétez pas pour ça, ce n’est pas un problème. Entrez, entrez. Laissez ouvert, ça permettra d’aérer. Je vous propose de faire un tour et de m’appeler si vous avez des questions.
Une visite libre ? Très bien, c’était parfaitement ce qui convenait à Julia. Très peu pour elle de suivre comme un mouton en écoutant les discours bien rodés des vendeurs et autres charlatans. De toutes façons, elle n’aurait pas son mot à dire, c’était l’argent de sa mère après tout.
Elle jeta un rapide coup d’œil à la vieille dame, puis monta les escaliers quatre à quatre afin de fuir la phrase préférée de sa mère ces derniers temps.
— On espère vraiment trouver une nouvelle maison et tourner la page…
Voilà. Sa mère venait-elle réellement de la prononcer, ou Julia l’avait-elle simplement trop entendue, incapable de s’en défaire ?
Les yeux en l’air pour faire barrage à ses larmes, l’adolescente prit une grande inspiration et se réfugia dans la première pièce qui se présenta à elle. Une petite chambre, aux couleurs chaudes et à la décoration emplie de jouets d’enfants. Le léger tic-tac d’une horloge murale la berça instantanément, et elle ressentit pour le grand lit moelleux un attrait comme celui qu’elle avait ressenti à son arrivée devant la maison.
Elle s’allongea sur la couverture molletonnée, ferma les yeux et sombra dans une spirale ensommeillée.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, quelque chose clochait. Le tic-tac hypnotique. Disparu. Le mécanisme s’était arrêté. Julia sortit son téléphone de sa poche, avant de se rappeler qu’il ne fonctionnait plus.
Combien de temps s’était-elle assoupi ? Elle se sentait requinquée, comme rarement elle ne l’avait été. Finalement, cette maison n’était peut-être pas si mal.
Malgré son envie de demeurer dans ce cocon, seule, à l’abri des autres, elle se résolut à aller chercher sa mère et ses sœurs. En haut de l’escalier, elle entendit, stupéfaite, sa mère s’adresser à la vendeuse :
— Merci encore, ce n’est pas ce que nous recherchons.
— Ne vous inquiétez pas, vous avez tout le temps de trouver votre bonheur. Je suis certaine que cette visite vous permettra d’aller de l’avant. Vous avez bien fait de venir. Cette maison n’est pas faite pour vous, mais votre fille l’aurait adorée.
De son point de vue, Julia pouvait voir le sourire sincère et bienveillant de la vieille dame faire face à l’incompréhension mêlée de larmes de sa mère.
— Comment savez-vous… ?
— Cette maison n’est pas comme les autres. Partez en paix, vous verrez, le temps fera son affaire.
La maîtresse de maison referma lentement la porte et pivota vers Julia, qui ne savait pas trop comment interpréter le départ de sa mère et de ses sœurs. Elle eut un pincement au cœur de les voir partir, mais elle sentait que sa place était ici, contrairement à elles. Elle décida de reporter son attention sur la dame qui s’approchait.
— On peut retourner dans ta chambre si tu veux, tu t’y sens bien j’ai l’impression.
Julia acquiesça et se laissa porter par une force invisible jusqu’au lit, où le silence régnait toujours. Captant son regard vers les aiguilles immobiles de l’horloge, la vieille dame sourit.
— Eh oui, tu as arrêté le temps. C’est toujours ainsi quand des âmes en peine trouvent leur chemin jusqu’ici. Les horloges s’arrêtent pour laisser le temps aux gens de comprendre et accepter leur situation.
Comme pour illustrer ses propos, elle se tut et attendit. Le cœur de Julia se serra.
Enfin, l’hôtesse reprit.
— Est-ce que tu as compris ce qui t’arrive ?
Julia prit le temps de réfléchir. Ces dernières semaines lui revinrent en mémoire. Cette façon étrange qu’avait sa mère de lui parler parfois, ou de lui laisser davantage d’espace et de liberté qu’avant. Le départ de son père, pour prendre du recul. Maintenant qu’elle y réfléchissait, quelque chose n’était pas normal.
— … Je suis… morte ? osa demander Julia, d’une toute petite voix.
— Oui ma chérie, j’en suis désolée. Tu peux rester ici autant que tu le souhaites, puisque le temps n’a plus de prise ici, tant que tu seras là. Les aiguilles repartiront quand tu seras prête, pour accueillir quelqu’un d’autre. Ainsi vont la vie et la mort dans cette maison.

J'ai beaucoup aimé ton texte! J'ai trouvé la fin très émouvante et inattendue, surtout par rapport au début et au final assez logique. Les dialogues sont bien amenés et c'est super fluide, et j'adore l'idée que la maison ait une âme qui lui est propre. J'aime bien ton style d'écriture, bravo pour avoir accompli ça en à peine 1h30!

La façon dont tu t'appropries le sujet est très intéressante, c'est une manière plus imagée de parler du temps qui s'arrête
Si je peux me permettre un petite remarque je dirais que certaines phrases mériteraient peut-être d'être scindées en deux. Il y a parfois beaucoup d'informations dans une même phrase et ça peut risquer de faire perdre l'information principale. Mais ce n'est que mon avis et en soi ça se lit bien

Hello ! Bravo pour ta participation, ton texte est vraiment super! Comme Azulys, je pense que certaines phrases mériteraient d'être allégées/coupées :
- Et ce jour-là, son envie de parler ou de visiter cette maison était proportionnelle à son goût pour les épinards, et encore, en cet instant, elle aurait été capable d’en avaler une cuillère pour pouvoir rester seule dans la voiture.
- elle ressentit pour le grand lit moelleux un attrait comme celui qu’elle avait ressenti à son arrivée devant la maison : je pense que tu peux mieux le dire.

Mais sinon bravo !

J'ai beaucoup aimé ton texte ! Je savais pas trop vers quoi on allait au début, comment la thématique allait être abordée, j'aime beaucoup ton idée et j'ai bien aimé comment tu l'as mis ! J'ai trouvé les phrases du début un peu longues parfois, mais le développement émotionnel était pile dans le rythme ! (traduction : omg je suis triste maintenant). En tout cas, bravo pour ton texte !

Merci beaucoup pour vos retours, et pardon pour le retard de cette réponse (Non, non, je ne galère pas du tout avec la gestion du temps... ) !!
C'était la première fois que je postais un texte, donc vous êtes mes premiers commentaires, ça fait tout bizarre
Voilà juste un grand merci, ma prochaine étape est de commenter les vôtres, promis, je vais y arriver !