Respiration

Sans crier gare, mon écharpe m’enserre le cou jusqu’à me couper le souffle. Elle s’est prise dans l’escalator juste avant que j’aie le temps de mettre le pied hors du tapis roulant. La longue étoffe d’un blanc cassé me plaque au sol avec brutalité, aussi efficacement que l’aurait fait un judoka. Ma tête cogne contre la rampe d’escalier du centre commercial avant de taper sur la ferraille qui continue d’avaler le tissu. La douleur aigüe dans mon crâne n’est rien comparé à mon besoin alarmant d’oxygène. Par réflexe et pour éviter de me faire broyer le visage, mon corps tente de s’éloigner du monstre métallique, resserrant encore l’étau autour de mon cou, dont je n’arrive pas à me défaire. Je ne parviens pas à reprendre ma respiration. Quand j’ai passé cette écharpe en quittant la maison, mon mari comparait encore sa « Anna chérie » à Raiponce. A l’heure qu’il est, je suis plus proche du poisson agonisant que de la princesse à la longue traîne. Je vais vraiment mourir comme ça ?
Autour de moi, un mouvement de panique, un hurlement, des pas qui se rapprochent. Je suis figée dans une terrifiante impuissance. Mon cœur martèle ma poitrine dans l’espoir d’irriguer mon cerveau, en vain. J’ai une impression de déjà-vu. Quand je suis née, j’ai manqué d’être étouffée par le cordon ombilical. Ma mère me l’a souvent répété. C’est peut-être ça. Je continue de lutter, presque mécaniquement, sans plus savoir pourquoi. Oui, pourquoi d’ailleurs ? Je préfèrerais oublier à quel point mes poumons me brûlent. Je voudrais m’assoupir un moment puis me réveiller dans un lit d’hôpital. Mon corps se relâche et le vorace de ferraille tire maintenant sur mes cheveux, à m’en arracher le cuir chevelu, mais je ne sens plus rien. Et puis d’un coup, je me laisse ronger par l’obscurité.

***

Eblouie par une blancheur crue, j’ai envie de hurler, mais je n’y parviens pas. Une sorte de câble, bien moins doux que le tissu de l’écharpe dont ma peau se souvient, m’étrangle. J’ai de plus en plus froid. Lorsqu’enfin on me libère du lien qui nouait ma gorge, j’inspire trop fort et je m’étouffe. Je peux enfin expirer tout mon saoul. Des personnes en blouse blanche s’agitent autour du lit. Je suis à l’hôpital. Je m’en suis sortie… ?
De grandes mains me soulèvent pour me porter jusqu’à une chaleur rassurante qui m’apaise instantanément. Je cherche des yeux la source de toute cette bienveillance, et je crois reconnaître le visage de ma mère. Qu’est-ce qui se passe ? Où suis-je ? J’ai l’impression que mes souvenirs s’étiolent. Je m’y agrippe par la pensée avec le sentiment que c’est important, mais déjà, tout est flou. J’ai la vague impression d’avoir été mariée mais je ne sais plus à qui. Il y a peu, je me précipitais pour faire l’acquisition d’un objet, sans faire plus attention au chemin que j’empruntais… et puis quoi ? Que s’est-il passé ensuite ?
…
Qui suis-je ?
Une voix enveloppante s’élève près de moi et j’ai tout oublié.
« Bienvenue au monde, ma petite Anna… »

J'aime beaucoup ton histoire, et ton style d'écriture, très fluide ! L'affolement et la sensation d'étouffement sont bien retransmis.
On dirait que la vie d'Anna est une boucle temporelle... La pauvre, devoir revivre ça...
Bravo pour ce texte !

Oh merci pour ton retour marie_jda !
Je n'arrivais pas à prendre de recul sur mon texte pour savoir si l'effet recherché fonctionnait... mais on dirait que oui, je suis contente
Oui c'est bien ça, l'idée de se réincarner dans sa propre vie en permanence, pour la revivre ou la changer, on ne sait pas ?

Hello !
Bravo pour ton texte, j'aime beaucoup l'idée de l'écharpe/cordon ombilicale !
Je pense que tu nous éloignes un peu trop de la scène d'étranglement par moments, on serait plus marqués si tu nous y laissais. J'ai aussi l'impression que sa mort est un peu rapide avec le souvenir du cordon ombilicale.
Mais c'est vraiment chouette comme texte, merci pour ta participation !