Grmpfkung, ce cancre d'esprit frappeur inattentif

Le texte tel quel, donc évidemment pas travaillé et pas fini du tout ahah. Navré pour ce qui va suivre.

L’Ironie du Sort, en plus d’être taquine, est aussi l’une des plus vieilles amies de l’homme. Si son intarissable générosité est de notoriété publique, son attrait pour le monde des ectoplasmes est en revanche beaucoup moins connu. Pourtant, il n’y a rien, en dehors peut-être des chats et des poissons-cigales, qu’Ironie du Sort aime plus que les poltergeists. Bien sûr, les connaissances sans limite de l'humble serviteur que je suis devraient suffire à vous en convaincre, mais voyant d'ici galoper gaiement quelques armées de complotistes courageux, laissez-moi vous le prouver.

Pour cela, ouvrons une fenêtre sur Lyon, ville lumière, car il s’y passe en ce moment même un drame des plus cocasses en rapport avec notre affaire. Voyez plutôt.

Ses petites fesses nuageuses posées sur le rebord d’une fenêtre, Grmpfkung le poltergeist se meurt. Il vient d’apprendre à ses dépends l’une des 137 règles régissant le monde des esprits frappeurs. S’il avait été attentif aux interminables et fumeux cours du terrifiant professeur Frigfslop, Grmpfkung aurait su la funeste destinée qui l'attendrait. Oui, mais voilà : il n’y a pas plus cancre que lui. Comme tous les esprits de sa génération de pourrie gâtée, il aspire à de grands rêves. Plus grands qu’hanter le gigantesque hôtel Ibis, situé face à la gare, dont il a la charge. Lui, rêve de cinéma. Devenir le nouveau Casper, le physique en moins, bien sûr. Ce mauvais élève n’a rien écouté du tout et, maintenant, il se sent partir. La lumière s'éteint, sa lévitation est instable...

Car Grmpfkung vient de commettre l’impardonnable.

En l’observant de plus prêt, vous remarquerez sans doute que ses orbites sans yeux ne quittent plus d’une seconde le sol, situé quatorze mètres plus bas. Il a l'air sous le choc. Et pour cause ! Car justement, choc il n'y a pas eu. Ce que Grmpfkung observe désormais, c’est l'absence de celui-ci. L'évidence de son échec. Ou pour résumer, la non-présence du corps de la douce Juliette.

Juliette est une magnifique jeune fille aux longs cheveux bouclés, qui vit depuis quelques jours dans la chambre 632. Elle était arrivée un jeudi, jour de pluie, ses joues blafardes bien plus trempées par ses larmes salées que par ce qui tombait du ciel. Grmpfkung l’avait tout de suite trouvé fascinante : tout chez elle évoquait une star. Des robes impeccables, une coiffure invraisemblable, un parfum de rose mêlé à du chocolat noir… Elle venait de rompre avec un énième petit ami et s’était réfugiée ici. Elle hésitait. Devait-elle rentrer chez elle ou prendre un train et partir loin ? Grmpfkung avait simplement espéré qu’elle reste ici, avec lui. Depuis qu’elle avait emménagé, il n'avait pu s’empêcher de l’observer, de l’admirer entre deux opérations de bioexorcisme. En tant qu’esprit frappeur, et même s’il n'aime pas beaucoup cela, Grmpfkung a pour tâche de faire fuir le moindre client. Jusqu'à lors, il s'appliquait à remplir son rôle… mais pas avec elle. Il n'avait pas pu. Jamais. Grmpfkung ne connaissait rien des sentiments humains - oui, rappelez-vous que, selon la classification du M.D.M II, à la différence des fantômes, un poltergeist n’est pas un défunt, mais un être surnaturel né ainsi - mais cela ne l'avait pas empêché de prétendre être tombé amoureux. Bien que la chose puisse être considérée comme un peu bizarre, ce n'est pas là un fait interdit par les 137 règles du monde des esprits frappeurs. Du moins le suppose-t-il, puisqu’il ne les connait pas.

Aujourd’hui, les choses ont pris une tournure dramatique.

Grmpkfung trésaille. Il voit naître devant lui des étoiles.

A 10h30, comme tous les jours, il était venu prendre sa pause pour observer Juliette lors de sa séance de coiffage. Il adorait la voir glisser des doigts dans ses cheveux dorés. Mais cette fois-ci, elle avait choisi de s’asseoir non pas au devant de son miroir, mais sur le bord de la fenêtre. Le même que celui où notre petit cancre se trouve désormais. Grmpfkung avait tout de suite compris ce qu’il était en train de se passer. En une fraction de seconde, il la vit se pencher en avant, décoller ses jambes et… Grmpfkung avait agit avec une dextérité qu’il ne se connaissait pas : usant intelligemment de son pouvoir d’influence sur les fenêtres - normalement utilisé pour faire battre les volets des paysans - et du swapping d’être vivant - qui permettait de changer un humain terrifié de pièce -, il avait interverti leur place et définitivement verrouillé la fenêtre. Bien sûr, Juliette était restée interloquée.

Et maintenant, Grmpfkung en paie le prix. Car pour un esprit frappeur, dont le rôle est de terroriser les êtres humains, sauver la vie d’un vivant est synonyme de mort. Petit à petit, la lumière du soleil s'estompe. Peu à peu, il se fait aspirer dans vers un autre monde.


Nous voilà désormais dans un tout autre lieu. Une bulle à part, naviguant à son rythme dans l’indomptable rivière des mondes. Ici, des montagnes enneigées dominent des plaines de glace sur lesquelles les dieux eux-mêmes n’ont pas mots à dire et des étoiles brillent de mille feux colorés. Grmpfkung s’éveille petit à petit, son corps ectoplasmique aussi trouble que de l’eau croupie. Cette constitution étrange en partie au mouvementé voyage céleste qu’il vient d’effectuer, est aussi le fruit d’une forte envie d’uriner. Car s’il existe une règle universelle relative à tous les êtres vivants, morts et morts-vivants, c’est bien le fait de devoir se soulager. Mais pour l’heure, Grmpfkung voit danser devant lui l’ombre d’un arbre colossal, dépourvu de feuilles et garni de pommes dorées à la magnificence sans pareil.

Bien que vos petites oreilles d’humains ne vous permettent pas de le percevoir, trois voix vibrantes surgissent soudain au milieu du flux télépathique de notre petit esprit frappeur.

- Grmpfkung, approche toi de nous.
- Oui, Grmpfkung, approche toi de nous.
- Nous voulons te voir plus proche, viens plus proche.

Détournant ses orbites, le poltergeist fait désormais face à trois silhouettes faites d’ombres intimidantes. L’une s’acharne sur un rouet ectoplasmique, l’autre tire un fil de pensées abstraites et la troisième semble gratter un petit ukulélé fait d’ossements humains.

- Qui êtes vous ? s’interroge intérieurement Grmpfkung, surpris par ce curieux spectacle.
- Nous sommes les Ombres et Os, lui fait parvenir l’ombre à l’instrument de musique.
- Non, non, ce n’est pas ce que nous avions décidé ! contrecarre aussitôt celle assise à la machine à filer.
- Ah bon ? reprend la première. Mais si ! On a dit que ça faisait Sombrero et que du coup c’était marr…
- Non, approuve la troisième. Y’a que toi qui trouve l’exotisme amusant. Ils n’ont pas besoin de ça. Je me souviens qu’on avait voté pour la Triade Obscure des Décès Spirituels et Annexes.
- Mais pas du tout ! rétorque la seconde. C’est beaucoup trop long. Vous êtes pas possible !
- Bah c’était quoi alors quoi ? s’étonnent en choeur les deux autres.

Tandis que l’ombre se lève de sa chaise cosmique, elle s’approche doucement de Grmpfkung qui, un peu gêné par tant de proximité, lui qui a perdu l’habitude d’être vu et considéré, recule. D’une voix caverneuse, elle annonce solennellement :

- Nous sommes les Fileuses de la Destinée.

Aussitôt, les deux autres s’agitent et, si leur forme n’est pas tout à fait déchiffrable, Grmpfkung comprend qu’elles approuvent de la tête.

- Ah bah oui, c’est sûr, c’est vachement plus classe, commente spirituellement l’une d’elle.
- Que m’est-il arrivé ? s’interroge Grmpfkung, un peu perdu dans tout ce tintouin.
- Tu es mort, répond la première.
- Mort tu es, confirme la seconde.
- Ouais, comme elles ont dit, précise la troisième.
- Mais je ne savais pas que les poltergeist pouvaient mourir ! proteste l’esprit frappeur.
- Tu as commis le plus impardonnable des crimes menaçant l’équilibre de l’univers, gronde alors la l’ombre au rouet comme un parent face à un enfant. Sauver un humain.

De manière générale, Grmpfkung était d’avis qu’il y avait plus menaçant que cela, mais à cet instant, il préfère ne rien dire, de peur de se prendre une rouste éternelle.

- Que… que va-t-il m’arriver ? bredouille-t-il par pensée.
- Notre plus beau tour ! s’enthousiasme son interlocutrice, avant de se tourner vers l’ombre au fil : vas-y Camille, montre-lui.
- Hé, lui dit pas comment je m’appelle ! proteste l’intéressée. On s’est pas donné des pseudos pour rien.
- Pardon, se corrige la première. Vas-y, Tentatrice du Mordor.
- Très bien, attention, c’est parti ! Un… deux…

Sous vos yeux ébahis, la puissance effarante de la magie des moires : dansant comme un serpent charmé par une flûte enchantée, l’ombre s’agite et s’élance vers le condamné.

- OREILLES ! s’exprime-t-elle mentalement.

Aussitôt, Grmpfkung éprouve une nouvelle sensation. Il a l’impression d’être moins léger, en premier lieu, sentant son esprit flottant redescendre d’un centimètre vers le sol. Soudain, quelque chose d’étonnant se passe : il entend un son strident provenant non pas de son esprit mais… de l’extérieur. Comment est-ce possible ? Un coup de vent balaie la bulle dans laquelle ces quatre individus sont enfermés, et il en perçoit tout de suite un murmure et la lamentation de l’arbre, dont les branches craquent.

- BRAS ! chantonne tout à coup l’ombre au ukulélé avec un accident faussement mexicain.

Un temps surpris d’avoir entendu l’annonce avec clarté, Grmpfkung est rapidement désarçonné par les deux vers immondes qui surgissent de chaque côté de son corps céleste. Immondes et faits de chair, ils semblent vouloir s’emparer de lui.

- BOUCHE ! cri la première des Fileuses.

Juste à temps pour qu’il pousse un cri terreur face à ce qu’il était en train de lui arriver.

- A L’AIDE ! hurle-t-il à son tour, encore plus paniqué d’entendre ce son sortir de son propre corps.

Il lui semble bientôt que les vers jumeaux s’agitent selon sa propre volonté et il parvient à plaquer une  paluche sur sa bouche.

- JAMBES !

Voilà désormais notre Grmpfkung qui s’agite dans tous les sens, courant dans les plaines de l’au-delà et espérant échapper à son triste sort. Perdu dans ces paysages de désolation, il y vivra mille aventures avant son retour sur terre, mais cela, bien sûr, est une autre histoire. Car pour l’heure, mon thé cosmique est prêt.

J'aime beaucoup le ton de ton texte, j'ai bien rigolé !

Les moires m'ont fait penser à la façon dont sont représentés les dieux et les monstres dans les Percy Jackson (une de mes séries jeunesse préférée (et je parle bien des livres, pas des trucs qu'ils ont osé appeler "adaptations cinématographiques"))

C'est original d'avoir pris le thème dans ce sens là : passer d'esprit à humain plutôt que d'humain à esprit.

Par contre, juste un petit détail : "Grmpfkung avait agit avec une dextérité qu’il ne se connaissait pas : usant intelligemment de son pouvoir d’influence sur les fenêtres - normalement utilisé pour faire battre les volets des paysans - et du swapping d’être vivant - qui permettait de changer un humain terrifié de pièce -, il avait interverti leur place et définitivement verrouillé la fenêtre."
Cette phrase est un peu trop longue. Je comprends que c'est pour le ressort comique, mais elle est un peu difficile à suivre. Peut-être que ça serait possible de la faire en deux ou trois phrases, tout en gardant une tournure comique.

En tout cas bravo pour cette histoire

Quel plaisir de retrouver ton style sarcastique !!

Alors là, bravo tu m'as scotchée ! Dès les premières phrases j'étais transportée Tu endosses parfaitement bien ton costume de narrateur. Là moi j'étais assise au pied du fauteuil et je t'écoutais me raconter l'histoire complètement fascinée. J'aime beaucoup ce sarcasme et les personnages des Moires qui se contredisent et se corrigent les unes les autres. Magnifique texte, et tout ça en 1h30 faut le souligner ! Merci à toi

Hahahaha, tout a été résumé plus haut! J'aime beaucoup la narration, particulière mais très appréciable! Les personnages des Fileuses de la Destinée sont en hauts en couleurs et les dialogues m'ont bien fait rire. Les descriptions sont également très bien, bravo à toi!

Merci beaucoup à tous pour vos retours !
L'humour est là clairement parce que j'ai en partie craqué à cause du timing, mais du coup je me demandais : est-ce que vous trouvez que ce type d'humour nuit à l'immersion dans l'histoire (ou à l'histoire en elle-même) ou trouvez-vous que ça marche ainsi ? Est-ce que ça vous a "dérangé" ? Pour être très concret, si je devais retravailler le texte pour le publier sous formes de nouvelles, est-ce que vous garderiez la partie humoristique ?

J'ai une idée précise de comment terminer le texte, alors je vous le posterai dès que je l'aurais écrit (ce week-end sûrement )

Personnellement, j'ai bien aimé ton intrigue et l'histoire est amusante. Mais je n'ai pas aimé le ton et je trouve que ça ne m'aide pas à entrer dans l'histoire.

Après, ce n'est que mon avis mais ça m'a dérangée. Il ne s'agit que d'un petit texte donc je l'ai lu jusqu'au bout mais tout un roman écrit de cette façon, j'aurais lâché prise dès les premières pages. Visiblement, y'a des personnes qui apprécient mais je trouve que c'est un pari risqué.

Hello !
Bravo pour le texte, il est très travaillé et j'aime beaucoup l'idée. Tu as plein d'imagination ça se voit !
Je ne pense pas que le côté humoristique nous sorte de la narration, quand on lit du Pratchett c'est délirant mais on est à fond dedans. Pour moi, c'est le côté un peu "too much" qui m'a dérangée : un peu trop lourd, un peu trop long (les phrases), un peu trop alambiqué... mais c'est peut-être un goût personnel car ce n'est pas mal écrit non plus.
Merci pour ta participation !