La painpauté
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -35%
Pack Smartphone Samsung Galaxy A25 6,5″ 5G + ...
Voir le deal
241 €

Aller en bas
avatar
moshiwake
Messages : 1
Date d'inscription : 20/03/2022
Age : 28
Localisation : In the sky like BOB

Terminal 3 Empty Terminal 3

Dim 20 Mar - 16:07
Bordel. Quel con. Amaury me l’avait dit. Je le revois, à présent, et ses yeux inquiets sous ses longs cils bruns qu’il trouvait trop féminins, tout son être mobilisé pour m’avertir. La main aimable qu’il avait posée sur mon épaule. Sa bouche espiègle faite grave pour le propos, il m’avait dit, ne le fais pas tout de suite. Attends un an, peut-être deux. Il faut être très entrainé, tu n’es pas prêt.

Je n’avais rien voulu entendre, bien sûr, impétueux et égotique comme je savais l’être. La chute n’a pas été fatale. Ils le diront à la télévision quand ils trouveront mon corps. Il a dû beaucoup souffrir, pendant des heures et des heures… à se vider de son sang, les membres brisés, la tête ouverte. La vérité c’est que je ne sens déjà plus rien du tout. Quelle notion me reste-t-il encore, maintenant que je ne sens plus mon corps, incapable de bouger ne serait-ce que la tête ?

Je ne sais pas non plus depuis combien de temps je suis là. Etendu, disloqué sur ce rocher pointu, tâche pourpre sur le paysage calcaire. Le soleil est en train de se coucher. Il s’est dérobé à ma vue, laissant derrière lui de chatoyantes couleurs que j’ai encore la chance de distinguer. Si quelqu’un pouvait me voir, d’en haut… appeler les secours… il reste en moi semble-t-il, un espoir vain qu’on vienne m’aider. Néanmoins, le rocher sur lequel je me trouve devient, au fur et à mesure que la toile du ciel s’assombrit, étrangement confortable. Une douce torpeur m’appelle, et on dirait qu’elle a la voix de ma mère.

Si je veux survivre, je ne dois pas fermer les yeux. On nous l’a déjà dit un million de fois. Amaury me l’a dit aussi, un million de fois. Je n’ai pas écouté, je n’écoute jamais rien. Quel con. Je m’en veux quand même moins que je n’en veux au monde de m’avoir fait mourir maintenant. Je n’ai que trente ans. Amaury voulait qu’on adopte un bébé. Ma mère aurait enfin eu ce petit-fils fantasmé dont elle me parlait si souvent. Comme souvent dans ma vie, et apparemment jusque dans la mort, j’aurais dérangé les plans des autres. Des plans qu’ils faisaient pour moi, pour eux, pour nous…

Quel con. La nuit aura bientôt terminé sa chute, et moi, j’aurai bientôt terminé de mourir. Je ferme les yeux. Foutu pour foutu. Si quelqu’un me trouvait et me secourrait maintenant, je finirais sûrement salement handicapé, tétraplégique ou autre malédiction. Non, merci. J’accepte mon sort. Dieu, accueille-moi dans tes bras, s’il-te-plait. Moi qui n’ai jamais été très intéressé par les questions spirituelles, je suis soudain contraint de me raccrocher à la seule doctrine que je connais, celle de mes parents, le Christ, et Dieu, le père de tous. Je crois que c’est à peu près ça. Ou peut-être que j’invente, pour ne pas penser au fait qu’il n’y a peut-être, derrière la porte que je m’apprête à ouvrir, que le néant absolu.

J’ouvre les yeux dans une sorte de lounge d’aéroport, affalé dans un grand fauteuil Louis Philippe en velours noir, près de la fenêtre. Un coup d’œil à l’extérieur me conforte dans mon idée : il fait nuit noire, donc je suis mort. Après avoir brièvement examiner mes mains, fait jouer les articulations de mes jambes, de mes épaules et de mon cou, je me lève. Je suis tout à fait rétabli, malgré ma chute de la falaise. Force est de constater : je suis mort. Je balaie le salon du regard. Un décor chargé, respirant le luxe d’une époque révolue. Un luxe aristocratique. Des lourdes tentures recouvrent les murs de scènes rupestres. Des fauteuils semblables à celui sur lequel j’étais assis, placés face à face, de manière à favoriser la discussion. Autour de la haute porte en bois vernis, une bibliothèque gigantesque, dont les rayons grimpent en flèche jusqu’au un plafond qui est si haut que je ne peux pas le distinguer.

En avançant un peu, je remarque que la pièce est faite de plusieurs compartiments, très similaires à l’alcôve dans laquelle je me suis réveillé, à quelques détails près. Des journaux ont été disposés sur des guéridons dans les couloirs qui séparent un compartiment d’un autre. J’en ramasse un puis le repose après avoir lu le titre, que je ne comprends pas.

Je progresse encore dans le couloir, qui semble mener, via une intersection, à deux alcôves voisines. En tendant l’oreille, je confirme mes doutes : il y quelqu’un d’autre ici. L’éclat d’une voix, comme sanglotant, me parvient presque clairement. Je m’approche.

L’homme sursaute quand il me remarque. Il essuie d’une main molle ses joues inondées, et, en lissant la veste de son complet ocre, m’adresse la parole dans un anglais précis, bien que déformé par un très fort accent du moyen orient.

« Je ne t’avais pas vu, mon ami. Pardonne mon désarroi, je ne sais pas comment j’ai atterri ici. »

Je me raidis, pour deux raisons ; la première, parce que l’anglais n’est pas ma langue de prédilection. La seconde, bien plus importante, c’est que je ne vois pas pourquoi ce serait à moi de lui annoncer que lui et moi, tous les deux, on est morts.

« Je ne sais pas non plus, mens-je. Peut-être sommes-nous en voyage, ou quelque chose de ce genre ? »

Il élude d’un geste. Son visage se crispe dans une grimace douloureuse. Mon malaise prend des proportions inattendues. Je vais pour partir, mais il m’arrête.

« Je viens avec toi. Ça fait des heures que je suis là, tout seul, à regarder dehors. Rien n’a bougé, pas un bruit. Je n’osais pas sortir. »

J’acquiesce et nous sortons de son compartiment. Je mène la marche. Mon acolyte improvisé, dont je ne sais rien, se ragaillardit sur la route, certainement heureux d’avoir trouvé quelqu’un pour discuter.

« Je m’appelle Amar. Je suis expert-comptable à Istanbul. J’ai deux enfants… »

Nous débouchons bientôt sur un espace circulaire qui ressemble vaguement à une salle de conférence. Des bureaux en arc de cercle, sur lesquels ont été disposés une lampe, un carnet de notes et un stylo, font face à une petite estrade. Lorsque nous nous approchons, nous remarquons que des noms ont été inscrits sur des chevalets. Un nom par table. Je fais rapidement le tour, et bientôt, repère mon nom. Voici donc mon bureau.

« Amar, cherche ton nom sur les bureaux, dis-je en faisant volte-face. Je pense que nous devons assister à ce truc… whatever this is… »

Amar, bien qu’incertain, s’exécute. Il trouve son nom, et son regard s’emplit à nouveau de larmes. J’espère qu’il a compris.

«
- Tu n’aurais pas un souvenir, je ne sais pas, d’un accident ? D’une maladie ? Lui demande-je.
- Pourquoi ? Me retourne-t-il, circonspect. C’est ton cas ?
- Oui, avoue-je. Je suis tombé d’une falaise en faisant le GR 10. Un chemin de randonnée, dans le Sud de la France. Je suis français.
- Alors, dit Amar en s’asseyant face à son bureau. Tu penses que nous sommes morts ? »

Je me permets un hochement de tête très emprunté, très grave, à la hauteur des circonstances. Mais Amar explose de rire.

«
- Tu plaisantes, j’espère, s’esclaffe-t-il.
- Euh… non ? Je m’en souviens très clairement. »

Il marmonne quelque chose dans sa langue natale, en ricanant de plus belle. Je peux comprendre qu’il ne veuille pas y croire.

Nous restons assis en silence pendant un moment. Le plafonnier diffuse une lumière chaude, tamisée, propice à la somnolence. Au bout d’un moment, alors qu’Amar s’est manifestement assoupi, et que je gribouille des idioties sur mon carnet de notes, un couple d’octogénaire, main dans la main, l’air froissé, fait son apparition.

« Ah ? Fait la femme avec un accent que je crois identifier comme cockney, ou londonien. Chéri, regarde, il y a des gens. »

« Hello, fait son époux à notre attention. »

Je le salue et porte un doigt à mes lèvres, leur désignant Amar endormi de ma main libre. Puis je leur montre le chevalet avec mon nom. Ils comprennent rapidement, font le tour des bureaux, et s’installent. La femme s’assoit au bureau voisin du mien.

«
- Je m’appelle Carolyn Ann Malone, désolée de vous ennuyer, mais je suis si curieuse… Comment êtes-vous mort ? S’enquiert-elle.
- Accident de falaise, dis-je, conscient que ça n’est pas très parlant.
- Ah, ça devait être douloureux. Nous, nous sommes morts dans notre sommeil, et tous les deux en même temps, explique-t-elle, non sans fierté.
- En même temps, je répète, surpris. »

Et je pense à Amaury. Amaury que j’ai laissé tout seul dans le monde. Avec encore tant d’années à vivre. Il refera sa vie. Il adoptera ce bébé, avec quelqu’un d’autre.

« Oui, en même temps, dit-elle. Ne le dites à personne, mais nous avons décidé de… disons, surdoser en même temps nos somnifères. Voilà tout. Henry avait peur de mourir seul. On s’est débrouillés pour partir en même temps. »

Vieillir avec Amaury, faire le choix ultime de mourir ensemble. Un poids terrible vient de prendre place sur ma poitrine. Nous avions toute la vie. Nous étions presque riches. Nous allions être tellement, tellement heureux.

Trois autres personnes se présentent ensuite. Une autre vieille dame, cassée en deux mais le visage rafraichi, rosé, se positionne au bureau à ma droite. Je suis entouré de mémés. Je songe à réveiller Amar. Il faudrait qu’il entende les autres. Cela devrait le convaincre que nous sommes morts.

«
- Comment êtes-vous morte, ma chère, demande la suicidée à ma gauche, visiblement décidée à mettre l’ambiance dans le groupe.
- Moi ? Je suis morte à l’hôpital. J’ai arrêté de manger. J’en avais marre, je souffrais trop. Mon dos, souffle-t-elle en lançant un regard espiègle derrière elle, c’était un enfer. Enfin débarrasser de ces conneries ! »

L’anglaise s’esclaffe. L’autre sourit gaiement. Les deux autres nouveaux arrivants ont pris place, et discutent entre eux à voix basse. Ils ont dû se trouver dès le départ, à moins qu’ils ne se connussent de leur vivant, comme les époux Malone. Une petite femme, la quarantaine, et un homme entre deux âges, cinquante ou soixante ans. Elle, c’est un accident de moto. Lui, le cancer.

Amar s’est éveillé. Le père Malone, assis à sa gauche, lui sourit chaleureusement. Je peux déjà l’entendre demander « And you, my dear, how did you die? » Amar n’est pas prêt pour ça.

Il n’y a plus qu’un bureau de libre. Nous sommes tous dans l’attente que quelque chose arrive. Les Malone s’impatientent. La mémé à ma gauche, chantonne une chanson de son temps, de son pays. Si je ne me trompe pas, elle a dit être hongroise.

Enfin, un grand gaillard, au visage poupon et souriant, à la carrure colossale, apparait depuis le couloir. Il est si grand qu’on pourrait croire voir un titan. En l’évaluant à vue d’œil, je dirais qu’il fait environ deux mètres cinquante, peut-être un peu plus. Sa peau noire, parfaitement lisse à tout endroit, recouvre une ossature massive et des muscles dessinés. Sa tête, bien qu’énorme, inspire une sérénité quasi divine. Ses mains sont immenses, pouvant presque effleurer le sol, au bout de ses longs bras. Et au bout de sa gigantesque main droite, qu’il a refermée délicatement, se trouve une toute petite fille. Cinq ans, peut-être six, le visage ravagé par des larmes qu’elle n’a su ravaler qu’avec difficulté.

« Emma, susurre-t-il à l’attention de la petite fille. Il faut que tu t’assoies ici. »

Il lui désigne le dernier bureau. Nous autres, les morts aux âges normaux, nous restons tous ébahis. Les yeux ardents d’Amar scrutent la petite avec effroi. Il pense à ses enfants, cela ne fait aucun doute.

La petite étouffe un sanglot et essaie d’escalader la chaise pour s’y jucher. Le colosse lui vient en aide, et avec une douceur toute calculée, la soulève d’une main pour la poser à sa place.

Il se retourne pour monter, très lentement sur l’estrade, non sans avoir caressé la tête de l’enfant.

(A SUIVRE LOL G PA FINI What a Face )

misstic21, Rosario_gnd, marie_jda et Mimisth aiment ce message

Mimisth
Mimisth
Messages : 60
Date d'inscription : 27/02/2022
Age : 32
Localisation : Dans mes rêves

Terminal 3 Empty Re: Terminal 3

Dim 20 Mar - 17:22
Histoire très cool ! Attention juste, j'ai trouvé certaines de tes phrases trop longues comme "Moi qui n’ai jamais été très intéressé par les questions spirituelles, je suis soudain contraint de me raccrocher à la seule doctrine que je connais, celle de mes parents, le Christ, et Dieu, le père de tous." , ça casse un peu le rythme je trouve.

Mais globalement, j'ai beaucoup aimé^^

moshiwake aime ce message

avatar
marie_jda
Messages : 161
Date d'inscription : 07/10/2021
Localisation : Chocolatine

Terminal 3 Empty Re: Terminal 3

Lun 21 Mar - 17:17
J'aime beaucoup ton histoire !
C'est très touchant de voir les différentes réactions de toutes ces personnes face à la mort.
Et je trouve que tu as un style d'écriture très agréable à lire.
Bravo pour ce texte !

moshiwake aime ce message

Admin
Admin
Admin
Messages : 571
Date d'inscription : 03/10/2021
Age : 30
https://lapainpaute.forumactif.com

Terminal 3 Empty Re: Terminal 3

Ven 25 Mar - 15:34
Hello !
Bravo pour ton texte ! Very Happy Il est vraiment chouette, c'est très bien écrit Smile Il y a juste les très nombreux "que" qui m'ont un peu perturbée dans le premier tiers, mais sinon bravo !
Contenu sponsorisé

Terminal 3 Empty Re: Terminal 3

Revenir en haut
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum