La painpauté
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lupinae
lupinae
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Localisation : Basse Normandie

L'honneur de l'esclave Empty L'honneur de l'esclave

Dim 27 Fév - 16:33
Claire reçut la gifle comme comme on recevait un coup de poignard ; d’abord la stupéfaction, puis la douleur. Sa joue la brûlait et déjà, elle devinait sa peau palote virer à l’écarlate. La marque des doigts prenait l’allure d’une griffure profonde qui descendait jusque dans sa poitrine.
Elle avait pourtant appris la leçon. Depuis longtemps, très rapidement. Ne pas le mettre en colère, être docile, dire « oui père » et s’éclipser dès qu’elle en avait l’occasion. Pourquoi ce réflexe stupide d’avoir protesté ? Elle avait conscience qu’il aurait pu en être autrement, que sa situation aurait pu être bien pire. L’homme en question n’avait que sept ans de plus qu’elle, et elle le connaissait. Son statut lui assurerait le confort et l’oisiveté. Alors pourquoi cette nausée ? Pourquoi ce relent de bile qui lui remontait dans la gorge ?
Ce n’avait été qu’un regard de défis. La réaction de trop.
— Tu feras ce qu’on te dit ! vociféra son père.
Claire inclina humblement la tête.
— Oui, père.
Dans un coin de la pièce, sa mère observait la scène, immobile et passive. Claire ne lui en voulait pas. Elle aurait fait la même chose. La jeune femme recula avant de tourner les talons. Une fois hors de vue, elle détacha le voile qui cachait ses épaules mouchetées de tâches de rousseur et s’en couvrit les cheveux et le visage pour masquer la trace enflammée. Elle pressa le pas, quittant les murs de la maison pour gagner les jardins et les remises.
Le soleil assommait la terre, écrasait de sa chaleur les arbres fruitiers et tout ce qui vivait. Sur le passage de Claire, les satyres s’arrêtaient dans leur tâche pour s’incliner devant leur maîtresse, stoppant un instant le cliquetis des fers qui leur ceignaient les sabots. Ils arrosèrent le sol sec de gouttes de transpiration.
Claire ne les regardaient jamais. Bientôt, elle arriva près des grands bâtiments qui servaient de remises et de greniers. Là, quelques intendants supervisaient le travail des centaures qui transportaient les lourds sacs de grains des champs aux garde-manger. Les hommes saluèrent la fille du maître tandis qu’elle parcourait le chemin du regard. Les créatures, la mine basse et harassés par le soleil brûlant, eurent tout de même le réflexe de faire de même. Le manque de respect était sévèrement puni à la résidence du sénateur.
Puis elle reconnut sa silhouette. Le buste toujours droit en n’importe quelle circonstance, l’allure fière malgré les chaînes à ses pattes, la robe baie de Fak n’en était pas moins luisante de sueur pour autant. En passant à sa hauteur, il ne lui accorda qu’un bref coup d’œil. Ses yeux, baignés de soleil, ressemblaient à de l’or liquide. Il ne fut pas réprimandé pour son insolence : c’était à sa maîtresse de s’en charger puisqu’elle était présente.
— Déchargez ce centaure, ordonna Claire en maintenant son voile sur sa joue abîmée.
— Sauf votre respect, le centaure n’a pas terminé ses corvées.
— Cette créature est le seul bien qui m’appartienne tout entier, j’ai tous les droits sur lui et sur ce qu’il doit faire ou non, rétorqua la jeune femme avec une assurance feinte. Déchargez-le.
— Bien mademoiselle Claire, se résigna l’intendant.
L’homme obéit et retira son harnachement au centaure. Sous la selle apparurent de nombreuses cicatrices laissées par les coups de fouet. Elles dessinaient un motif abstrait de lignes de peau nue sur toute la longueur de la robe brune de son dos. L’intendant tendit la longe qui le reliait à sa maîtresse par un harnais enserrant sa face, lacérant l’arête droite de son nez et son front. Claire la saisit et emporta Fak avec elle.
Arrivée à ses quartiers, hors de vue de tous, la jeune femme lâcha la longe qui pendit mollement à la tempe de Fak, attachée à un anneau d’acier. Il baissa la tête et Claire retira prestement son harnais. Son voile alla rejoindre les lanières de cuir sur le sol dallé. Elle se jeta contre le buste du centaure et s’autorisa enfin à pleurer. Il sentait le cheval et la sueur, mais elle s’en moquait. Seul comptait la caresse réconfortante de ses mains sur ses cheveux. Elle ne se souvenait pas d’une époque où le centaure n’avait pas été là pour elle.
— Qu’a-t-il fait ? s’enquit Fak sans avoir à préciser de qui il parlait.
Pour seule réponse, Claire s’écarta et présenta sa joue meurtrie. Fak prit doucement son visage entre ses mains et étudia la marque, sourcils froncés. Quelques mèches de ses cheveux noirs lui tombaient sur le front, échappés de la longue tresses que Claire lui avait faite deux jours plus tôt.
— Je crois que je le tuerai, un jour, dit Fak sur le ton qu’il aurait employé pour parler de la météo.
— Je préférerais que tu restes vivant, répondit tristement Claire. Je sais que c’est égoïste, mais j’aurai besoin de toi quand…
C’était trop difficile à dire. Fak patienta, un air paternel accroché à ses traits brunis par le travail en extérieur. Le centaure n’était pas né en captivité. Il avait été capturé à l’adolescence, rapidement vendu au sénateur Atticus, réputé pour sa cruauté et sa capacité à mater n’importe quelle créature. Fak avait essayé de s’enfuir un nombre incalculable de fois, ce qui lui avait valu la majorité des cicatrices qui lui striaient le dos. Il s’était résigné avec l’âge. Puis on lui avait confié Claire, jusqu’à lui offrir sa propriété.
— Père a arrangé mon mariage, avoua Claire. Comme sur le papier tu es à moi, je pourrai t’emmener, mais…
Fak comprit.
— J’appartiendrai de fait à ton mari.
— Oui. Je ne pourrai plus te protéger, je…
— Je ne le laisserai pas faire, dit calmement Fak. Je te le promets.
Claire aurait aimé le croire. Cette promesse la berça le temps qu’elle laissa à Fak pour profiter des bains de sa suite. Elle démêla ses cheveux avant de les tresser comme elle avait l’habitude de le faire. Par obligation, et pour ne pas froisser son père, elle passa un harnais cérémonial sur le visage de Fak. Ce soir, sa famille se rendait dans la demeure du jeune sénateur Caïus, qu’elle devait épouser dans les semaines à venir, pour des présentations officielles.
La villa était grande, presque autant que celle de son père. Moins de terres, en revanche. Fak exerça son rôle de serviteur à la perfection. Jusqu’à l’incident.
— Votre fille est ravissante, dit Caïus à Atticus alors que Claire se trouvait juste à côté.
— Peut-être voudriez-vous vérifier sa personne par vous-même, répondit son père. Vous êtes pour ainsi dire quasiment mariés, vous pourriez user de vos droits. Je suis certain que Claire en serait ravie.
Son sang se glaça. Elle resta interdite, paralysée par le sens que mettait son père derrière cette phrase. Elle ne réagit pas de suite, sourde au vacarme qui grandissait tout autour d’elle. Elle reprit ses esprits lorsque la tête d’Atticus roula à ses pieds. Elle poussa un hurlement, bientôt suivi de ceux des autres invités.
Claire se leva d’un bond. Elle balaya la pièce d’un regard, et découvrit rapidement l’origine de l’horreur. Fak s’était emparé de l’épée d’un des gardes humains et s’était taillé un chemin sanglant jusqu’à l’homme qui avait proféré pareille suggestion. La lame traversa ensuite le torse de Caïus sans que personne ne soit en capacité de contenir la fureur sanguinaire du centaure.
Fak saisit Claire par la taille et la chargea sur son dos avant de s’enfuir de la villa au sol tapissé de sang. Entravé, il ne pouvait galoper, mais il avait appris à trotter rapidement malgré la longueur des chaînes. Claire reconnut le chemin qu’il empruntait : la forge. Là, il enfonça la porte à coups de sabots et s’empara d’une hache. Il fit descendre Claire et lui tendit l’arme avant de caler ses chaînes sur l’enclume.
— Frappe de toutes tes forces, indiqua Fak.
Tremblante, Claire s’exécuta. Elle rata, frappant trop en avant. Elle s’y reprit à plusieurs fois, et le poids de la hache suffit à mettre la force nécessaire à tordre puis briser les liens. Les veines bombées par l’adrénaline et ce qu’impliquait son geste, elle fit de même avec les membres postérieurs de Fak sans qu’il ait à le lui demander.
Il l’aida à grimper sur son dos et cette fois, le centaure s’enfonça dans les rues au grand galop. Les grognements et cris des furies et chiens volcaniques accompagnèrent les pas de courses des gardes humains qui s’étaient lancés à leur poursuite.
Claire se rendit rapidement compte que Fak avait un plan en tête. Il ne tournait pas au hasard, et bientôt, ils atteignirent l’entrée des thermes. Ils y étaient souvent allés ensemble, et Fak gagna bien vite le fond du bâtiment, où toutes les eaux sales se déversaient dans les égouts et souterrains de la cité emmurée.
Plusieurs chemins s’offrirent à eux. Fak dut d’abord progresser le dos courbé, puis le plafond s’éleva et il put se redresser. Claire entendait le canal qu’il longeait, le nez agressé par les odeurs de moisi et de pourriture. La jeune femme ignorait comment Fak réussissait à se repérer dans ce labyrinthe pierreux. De la lumière éclaira un carrefour, et le centaure se stoppa net, une épée qu’il avait récupérée à la forge avant de repartir en main. La lumière se rapprochait rapidement, et bientôt, deux hommes apparurent. Ils n’eurent pas le temps de réagir : Fak décapita le premier et transperça le second. Il récupéra la torche et reprit sa route. Claire se sentit mieux avec le feu pour éclairer leur chemin. Les rats déguerpissaient sur leur passage. Puis arriva un moment où le chemin se termina par une grille épaisse. Fak jura et revint sur ses pas.
Sans que Claire ne sache pourquoi, Fak entra dans l’eau du canal et grimpa sur la rive opposée. Là, une bouche empêchait le canal de déborder. Le tuyau était assez large pour laisser passer un homme, mais assez sombre pour que même la torche ne puisse en éclairer l’intérieur. Fak fit descendre Claire.
— Ton salut se trouve au bout de ce chemin, dit Fak en désignant le boyau. Il traverse la muraille et déverse le surplus d’eau en dehors de la cité. Tu pourras t’y échapper.
Claire se pencha sur le conduit avant de reculer et se blottir contre le centaure. Il la poussa légèrement. Il insistait pour qu’elle emprunte cette voie.
— Tu es venue jusque-là, maintenant entre là-dedans, dit Fak.
— Il fait bien trop noir là-dedans pour que je passe, répondit Claire.

— C’est ta seule issue.
Claire observa le boyau plongé dans les ténèbres, puis retourna son attention sur le centaure. Il était bien trop grand, bien trop large.
— Mais et toi ? s’inquiéta la jeune femme, la voix rauque.
Fak eut un sourire las. Néanmoins, un éclat déterminé brilla dans ses yeux rendus noirs par la pénombre. Il savait depuis le début qu’il ne pourrait le suivre jusqu’au bout. Il baissa la tête sur les fers brisés qui avaient rongé et marqué sa chair pendant des années au-dessus de ses sabots.
— Moi… Je vais honorer la tradition de mes ancêtres. Grâce à toi, je vivrai mes derniers instants en vrai centaure, libre. Merci.
Claire sentit les larmes lui monter aux yeux. Fak avait pris soin d’elle depuis sa naissance. Elle ne pouvait pas le laisser là, pas maintenant, pas… Le centaure posa une main chaude et rassurante sur son épaule. Déjà, les grognements et cliquetis résonnaient à l’autre bout du dédale humide.
— Pars, petite Claire, dit-il du ton qu’il employait quand elle n’était qu’une enfant effrayée par les colères de son père. Pars, et ne te retourne pas.
Ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Dans son plan, Fak gagnait l’extérieur des murs avec elle. Il passait de l’autre côté et retrouvait sa harde. Claire se jeta contre le centaure, enserrant la base de son buste de toutes ses maigres forces. Ses doigts s’accrochèrent à la naissance de la crinière qui remontait dans son dos, dévièrent un peu sur son garrot strié de vieilles cicatrices qui s’étendaient jusqu’à sa croupe. Ses larmes se mêlèrent au sang qui tâchait la tunique de son ami.
Le centaure caressa tendrement ses cheveux une dernière fois avant de la pousser dans le passage étroit et sombre.
Bientôt, alors que Claire rampait dans le boyau, les coudes et les genoux dans l’eau nauséabonde, les cris ricochèrent contre les parois et la poursuivirent pendant longtemps. L’acier contre l’acier, les grognements enragés des bêtes. Puis le silence.
Au bout du chemin, derrière une vieille grille rouillée que Claire n’eut aucun mal à faire céder, les premières lueurs du jour. L’aube rosit son visage crasseux que les larmes avaient zébré.
Pour la première fois, la puanteur de la cité la quitta.
Poussée par le dernier souffle de Fak, Claire s’extirpa du boyau et courut dans la plaine en direction des terres sauvages.

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Lady_Lian
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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Dim 27 Fév - 17:19
C'était trop bien ! L'histoire m'a plut du début à la fin. C'était aussi très fluide à lire et beaucoup d'émotion en le lisant.

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lupinae
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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Dim 27 Fév - 17:21
Merci pour ce retour sympathique ^^
Rosario_gnd
Rosario_gnd
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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Dim 27 Fév - 17:37
C'est très beau et triste en même temps... comme toujours avec toi <3

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Sisuki
Sisuki
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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Dim 27 Fév - 17:55
C'est rare des textes avec des centaures.
Je suis vraiment triste qu'il n'ait pas pu partir avec elle mais au moins il était libre.
Très beau texte avec de belles émotions. <3

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lupinae
lupinae
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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Dim 27 Fév - 18:05
Les centaures sont mes créatures préférées après les dragons <3

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marie_jda
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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Dim 27 Fév - 22:19
Trop triste pour Fak Sad
Ton histoire est magnifique ! Tellement émouvante...

J'aime beaucoup ta façon d'écrire.

Juste un petit détail : j'ai un peu bugué sur la phrase "De la lumière éclaira un carrefour, et le centaure se stoppa net, une épée qu’il avait récupérée à la forge avant de repartir en main". Je sais pas, c'est l'enchainement de "qu'il avait récupérée à la forge avant de repartir" et de "en main" que je trouve un peu étrange. J'aurais trouvé ça un peu plus fluide avec un truc du style : "De la lumière éclaira un carrefour, et le centaure se stoppa net, brandissant une épée qu’il avait récupérée à la forge".

Mais à part ce petit chipotage, vraiment bravo !!

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lupinae
lupinae
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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Dim 27 Fév - 23:29
Oui, je ne me suis pass relu, et comme disait Christelle, pas le droit à la retouche ^^"
Sayuri.K
Sayuri.K
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Date d'inscription : 08/10/2021
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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Lun 28 Fév - 0:19
Noooooonn Fak 😭😭 Je suis trop triste, je l'ai trouvé tellement classe dès le début je voulais qu'ils aillent loin tous les deux 💔 Lupi, c'était vraiment une super histoire j'ai adoré l'univers dès les premiers mots, pas l'habitude de voir des centaures ils sont rarement utilisés et c'est dommage ! Mais toi tu leur as donné un très beau rôle 🤗 (Et mon coeur saigne pour Fak, je le redis...) Merci à toi pour ce texte, c'était juste génial !

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Pleutre
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Date d'inscription : 27/02/2022

L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Lun 28 Fév - 1:37
RIP Fak Sad
Sinon j'ai beaucoup aimé le style, je suis bluffé par la qualité de l'écriture. En si peu de temps, bravo ! Et bonne chance à Claire...

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L'honneur de l'esclave Empty Re: L'honneur de l'esclave

Ven 18 Mar - 10:42
Mais tu es tellement douée c'est fou... bravo pour ton texte, j'aime trop ton style ! Interdiction de douter de toi ou de ton talent pour les cent prochaines années !

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