La source des amants maudits

Ils entendirent une lourde pierre rouler et en se retournant, les deux amis se rendirent compte avec horreur qu’ils avaient été enfermés.

- Nom d’un agneau aux pommes de terre, on est piégé ! Qu’est ce qu’on va faire Armelle, qu’est ce qu’on va faire ? hurla Raymond en la secouant par les épaules.
- Lâches-moi deux minutes tu veux, j’essaye de réfléchir.
- On va mourir, on va mourir, on va mourir, on va …
- Raymond, je t’ai dit de me lâcher !
- Non Armelle reviens, me laisse pas tout seul dans le noir ! Tu vas te perdre et je vais me retrouver tout seul.
- Je ne suis pas loin, je cherche simplement une torche ou quelque chose qui pourrait s’enflammer. Tu peux regarder au fond de ton sac ? Je crois y avoir glissé un paquet d'allumettes quand on était à l’hôtel.
- Ah oui je les ai ! J’en craque une maintenant ?
- Non, il faut d’abord qu’on trouve quelque chose à enflammer sinon elles brûleront en quelques secondes et on aura perdu toute possibilité de s’éclairer.

Un bruit sourd retentit et Raymond poussa un hurlement qui résonna contre les parois de la pièce.

- C’était quoi ? Tu penses qu’il peut y avoir des créatures féroces dans cet endroit ? On va se faire dévorer Armelle.
- C’était moi, je me suis cogné la tête. Il y a une sorte de grosse table en granite ici, et j’ai trouvé une torche. Raymond, craque l'allumette et je vais venir vers toi pour l’allumer.

Lorsque la lumière revint, les deux amis furent impressionnés de découvrir l’endroit où ils se trouvaient. La table de granite qu’Armelle avait heurté était un sarcophage. Des gravures recouvraient les quatres côtés et sur le dessus, deux personnes enlacées étaient représentées. Autour de la tombe, des caisses poussiéreuses reposaient en équilibre les unes sur les autres et quelques vases en or reflétaient la lumière vacillante de la torche.

- Tu crois qu’on l’a enfin trouvé ? souffla Raymond qui n’osait plus parler à haute voix de peur de déranger les morts.

Armelle ne répondit pas. Elle avança de nouveau vers le sarcophage, les yeux pétillants.

- Ne touche à rien ! Tu n’as jamais entendu parler des malédictions qui gardent les tombeaux ?
- On est pas en Egypte Raymond, détends-toi et soit un peu plus heureux, on vient de trouver la tombe des amants maudits. Tu va devenir célèbre, pense à toutes les filles que tu pourras faire chavirer après cet exploit !
- Je m’en fiche d’être célèbre, je t’ai accompagné parce que je ne voulais pas que tu y restes, imagine un peu la tête de ton fils s’il apprenait que j’ai laissé sa mère aller farfouiller un ancien temple maudit toute seule.
- Tais-toi un peu et viens m’éclairer ces gravures, je crois que ce côté là raconte la légende des amants maudits, et celui-ci explique ce qui est arrivé à la source magique après leurs morts.
- Je me fiche de la source Armelle, je veux sortir d’ici. En plus on va pas tarder à manquer d’air.
- Peut-être que nous sommes tout près, il est écrit ici : “...ne pouvant être ensemble, comme la lune et le soleil, les deux amants se donnèrent rendez-vous une dernière fois près de la fontaine du destin. C’est ici qu’ils reposent, à l’abri de la source qui avait ramené un ange du monde des morts.”
- Je comprends rien à ton charabia, on a vraiment fait tout ce chemin pour de la flotte ?

Les iris de la jeune femme s’assombrirent.

- A l’origine, la fontaine n’avait rien de magique mais un jour, un homme est venu s’y cacher pour pleurer. C’était l’endroit où il avait épousé sa femme il y a bien longtemps. Ses larmes sont tombées dans l’eau de la source et la nuit venue, sa défunte épouse est descendue du ciel sur un pont fait d’étoiles pour le retrouver. L’homme n’en croyait pas ses yeux. Ils ont passé la nuit ensemble mais au petit matin elle a dû repartir avant que le soleil ne se lève.
- L’homme a simplement dû halluciner, une fois j’avais tellement faim que j’ai confondu
les tresses de ma sœur avec des bretzels.
- Tu vas la fermer ? Dans la légende, l’homme est revenu toutes les nuits à la fontaine retrouver sa femme, mais au bout de quelques semaines, il était épuisé et ses enfants commençaient à s’inquiéter. Vu qu'il ne dormait plus, il n’avait pas la force de travailler aux champs, ni d’aller vendre les légumes au marché, les enfants devaient s’occuper de la maison tous seuls et la femme était de plus en plus triste. Elle finit par dire à l’homme qu’elle ne reviendrait plus tant qu’il serait irresponsable envers leur famille et repartit.

Raymond frappait du pied contre la tombe en écoutant d'une oreille et Armelle poussa un souffle exaspéré avant de reprendre.

- L’homme est revenu de nombreuses fois à la source mais sa femme n’est jamais réapparu, alors il a décidé de l’écouter et de reprendre sa vie en main. Lorsque son dernier enfant est parti de la maison, il y est retourné une ultime fois. Par nostalgie sans doute. Epuisé, il s’est endormit et dans la nuit, il a été réveillé par sa femme qui traversait le pont d’étoiles. Elle était revenue pour le remercier d’avoir pris soin de leurs enfants et avant que le soleil ne se lève, elle le pris par la main et le fit traverser le pont étoilé, ensemble à jamais.
Un lourd silence s'imposa entre eux et le visage de Raymond se voila de colère.
- C’est pour ça qu’on est là ? Armelle, ce sont des histoires pour enfants, des légendes. Aucune eau magique ne te ramènera Christophe.
- Les légendes sont des histoires inventées, regarde ce qu’on vient de trouver, le tombeau de l’amant maudit. C’est bien la preuve que tout cela est vrai !
- Ca y est, j'avais raison, tu délires à cause du manque d'oxygène, tu es folle. Si j’avais su je ne t’aurais jamais accompagné.

Raymond fit demi tour et balança son sac sur son épaule. Il alla se planter devant la grosse pierre qui bouchait l’entrée et commença à l’examiner à la recherche d’un levier ou d’une faille.

- Tout ce que je veux c’est le voir une dernière fois, c’est si dur à comprendre ? Il nous a laissé avec tant de questions et je ne comprends pas que tu n'aies pas envie d'avoir les réponses. C’était ton frère merde !
- Armelle ... j’ai supporté les voyantes, les tarots, les astrologues et les marabouts mais ça, c’est au-dessus de mes forces !
- Attends, attends … C’est là ! J’ai trouvé !
- Tu m’écoutes quand je te parle ou tes gribouillis millénaires sont plus importants ?

Elle accouru vers lui, empoigna son bras et le tira jusqu’au dernier côté de la tombe. Elle effleura les anciennes écritures et se mit à rire. Un rire à la fois pitoyable et fou, le genre de rire rempli de larmes qu’on peut voir sur les visages des gens au bord du gouffre.

- La fontaine est là, tout près, et pour l’atteindre il suffit de … “montrer le plus puissant des gestes d’amour”, tu as une idée de ce que ça veut dire ?
- Tu demandes ça à un mec qui a passé sa vie célibataire ? J’en sais rien moi. C’était quoi le plus beau geste que tu aies fait pour Christophe ?

Armelle calma ses spasmes en posant sa main sur sa poitrine. Les larmes coulaient le long de ses joues sans qu’elle s’en rende compte. L’une d’elle roula sur sa peau et tomba sur le dos sa main. Elle se redressa d’un bond en regardant l’endroit où était tombé sa larme. On distinguait encore sur son doigt la trace de la bague que lui avait passé Christophe.

- Je l’ai épousé. C’est ça ! Le plus puissant des gestes c’est le mariage, le fait de se donner tout entier à la personne qu’on aime.
- Tu es en train de dire qu’il faut qu’on se passe la bague au doigt ? Tu as pas plus glauque comme proposition que de passer la bague au doigt de la femme de mon défunt frère près du tombeau d’un mec qu’on ne connait pas.

Mais Armelle ne l’écoutait plus, elle avait ouvert une des caisses empilées et fouillait à l'intérieur avant d’en sortir deux anneaux en fer noirci par le temps.

- Tu es vraiment sûre qu’il faut se marier ? répéta-t-il.
- J’ai les alliances.
- Armelle, je ne sais pas trop … Si jamais tes histoires sont vraies, est-ce que ce serait pas déplacé d’épouser ton beau-frère pour revoir ton mari décédé ? Vive le geste d’amour puissant.
- C’est juste pour le symbole abruti, aller, passes moi la bague au doigt !

Raymond déposa les armes, il comprit qu’il ne pourrait la raisonner. Il contempla son expression de clown triste et enfila l’anneau sur son doigt, recouvrant la trace de la bague de Christophe. Armelle prit une grande inspiration. Un instant, elle se vit le jour de son mariage, habillée de blanc, le ventre rond. Elle avait la même expression qu’à cet instant, un sourire noyé de larmes, mais à l’époque, c’était des larmes de bonheur.

Ils fermèrent tous les deux les yeux et elle fit glisser l’anneau de fer sur son doigt.
De longues secondes s’écoulèrent. Ils écoutaient le bruit de leurs respirations et les reniflements d’Armelle, attendant que quelque chose se passe. Le temps parut se suspendre.
Au bout d'un long moment de silence, les sanglots reprirent de belle jusqu’à ce qu’un grondement résonne à côté d’eux. Sans ouvrir les yeux, ils s’aggripèrent l’un à l’autre.

- Armelle … tu entends ça ? demanda Raymond tout bas.
- De quoi tu parles ? hoqueta-t-elle.

Ils ouvrirent les yeux et s'aperçurent que la paroie derrière le sarcophage en granite avait disparu, laissant place à un long couloir obscur. Raymond saisit Armelle par la main et l'entraîna en courant dans le tunnel en lui lançant tout sourire.

- Mais si écoutes, j’entends une source qui coule là bas !

Bon c'est un peu rushé à la fin et je suis pas très forte en dialogue mais ça a été super inspirant !
bonne lecture à tous !

Tout ça en 1h30, bravo !

Raymond m'a bien fait rire avec son hystérie du début et ses remarques tout du long, et j'ai trouvé que la légende que tu as inventée pour la fontaine est très belle, très poétique. Armelle est vraiment très touchante aussi.

Juste un micro mini détail : vu qu'ils sont dans le noir complet au début, comment Armelle peut affirmer que la "sorte de grosse table" est en granite ? Alors certes le granite a une texture un peu particulière, mais c'est pas le seul... Voilà, c'est juste que tu restes vague pour la forme de l'objet, mais en même temps tu donnes précisément sa matière...
Mais c'est vraiment du chipotage, pour le coup, c'est vraiment pas grave (désolée ^^')

J'ai tout simplement adoré ! Les échanges du début entre Armelle et Raymond sont super drôles, la légende des amants maudits est très touchante et même la réaction de Raymond à devoir faire semblant d'épouser sa belle-sœur est collector ! Bravo à toi Chrys c'est vraiment un des meilleurs textes de l'atelier que j'ai lus même si les autres étaient très bien Et du coup, elle le revoit Christophe ? (J'espère que oui 🥺)

marie_jda a écrit:Tout ça en 1h30, bravo !

Raymond m'a bien fait rire avec son hystérie du début et ses remarques tout du long, et j'ai trouvé que la légende que tu as inventée pour la fontaine est très belle, très poétique. Armelle est vraiment très touchante aussi.

Juste un micro mini détail : vu qu'ils sont dans le noir complet au début, comment Armelle peut affirmer que la "sorte de grosse table" est en granite ? Alors certes le granite a une texture un peu particulière, mais c'est pas le seul... Voilà, c'est juste que tu restes vague pour la forme de l'objet, mais en même temps tu donnes précisément sa matière...
Mais c'est vraiment du chipotage, pour le coup, c'est vraiment pas grave (désolée ^^')

Merci beaucoup !

haha oui pour le granite j'y avais pas pensé, peut etre qu'elle le devine par la densité du truc quand elle se le prends dans la tronche ^^'

Sayuri.K a écrit:J'ai tout simplement adoré ! Les échanges du début entre Armelle et Raymond sont super drôles, la légende des amants maudits est très touchante et même la réaction de Raymond à devoir faire semblant d'épouser sa belle-sœur est collector ! Bravo à toi Chrys c'est vraiment un des meilleurs textes de l'atelier que j'ai lus même si les autres étaient très bien Et du coup, elle le revoit Christophe ? (J'espère que oui 🥺)

Merci beaucoup !!!! c'est super gentil ^^
haha j'avoue j'ai moi meme ris quand j'ai écris les lignes de Raymond !

et pour répondre à ta question je pense que non, elle ne le reverra pas. J'imagine ce texte comme un extrait de sa quête de deuil et la légende parle justement du problème avec le refus de faire son deuil. pour moi elle est dans sa période de déni et elle va vivre tellement de chose après qu'elle fera son deuil sans s'en rendre compte pendant sa quête.

Ça se tient oui, dit comme ça. Ce serait un super récit à suivre en tout cas y'aurait une bonne dynamique entre les deux persos

Bravooo pour ton texte ! C'est très original ! Et ce que j'adore, c'est qu'au début je pensais que tu avais pris le troisième dialogue vu qu'ils étaient dans un souterrain, alors que non, tu as pris celui qui parlait du mariage. J'ai été très surprise et j'ai adoré !
Juste un truc, pour la phrase longue du début : "les deux amis se rendirent compte avec horreur qu’ils avaient été enfermés". : l'info capitale est mise à la fin et du coup, on y fait moins attention, elle nous impacte moins je trouve.
Mais merci pour ta participation, et encore bravo !