Le tunnel

- Tu es venue jusqu’ici, maintenant passe là-dedans, grogna Fak.
- Il fait bien trop noir là-dedans pour que je passe, fit Claire d’une petite voix.
Le cambrioleur la poussa en avant d’un geste si brusque qu’elle se cogna le front contre l’étagère. Claire se mordit les lèvres pour retenir un cri. Sa peau brûlait de partout. Au front, là où une bosse devait maintenant se former et autour de ses poignets, fermement ficelés par des cordes épaisses derrière son dos.
Sa vue s’embrouilla.
- Tu attends quoi à la fin ? s’impatienta Fak et la poussa d’avantage vers le trou béant.
- J’ai… j’ai…
Claire se mit à trembler et à hoqueter. Ses larmes ruisselaient le long de ses joues, humidifiant son pull bleu marine. Celui que sa grand-mère lui avait cousu pour son quatorzième anniversaire. Elle avait grandi depuis, mais il lui allait encore et lui servait désormais de pyjama. Elle imaginait le corps frêle de sa grand-mère, un étage au-dessus de sa tête, allongé sur le sol froid de la cuisine. Était-elle encore en vie ? Cette pensée lui arracha un gémissement qui lui valu une nouvelle tape dans le dos.
- Aie, cria-t-elle.
- Ne crie pas, je t’ai dit ! Fit le cambrioleur en lui assenant un nouveau cou, cette fois derrière la tête. Et entre maintenant !
- S’il-vous plait, laissez-moi partir, le supplia Claire.
Ce dernier, perdant patience, l’empoigna par la corde dans son dos et de son autre main – aussi rugueuse qu’elle en avait l’air – il l’obligea à baisser la tête et à l’enfouir dans la porte circulaire. Claire sentit ses genoux s’écraser contre le rebord de la machine et comprit alors qu’elle n’avait plus le choix. Elle enjamba l’entrée pour éviter de se blesser et se retrouva bientôt accroupie à l’intérieure de la machine. C’était si étroit qu’elle ne pouvait rien faire d’autre à part regarder droit devant elle. Un tunnel qui s’allongeait dans la pénombre.
- S’il-vous plait, bredouilla-t-elle entre deux sanglots.
- S’il-vous-plait quoi ? bougonna Fak d’un ton moqueur.
Il referma la porte derrière Claire qui en regardant au-dessus de son épaule droite n’eut que le temps de voir le rictus sardonique du cambrioleur avant de se retrouver seule dans le noir complet. Elle eut beau écarquiller les yeux, ils ne s’y habituèrent point. Puis un cliquetis résonna quelque part, au fond du tunnel. Claire retint son souffle. Il s’ensuivit un silence lourd. Elle s’appuya alors doucement sur ses genoux et tenta une nouvelle fois de se libérer des cordes dans son dos, les frottant de haut en bas contre la semelle de ses bottines. Elle se remercia intérieurement d’avoir enfilé celles avec deux centimètres de talons. Une bouffée d’espoir remonta en elle lorsqu’un brin de la corde se détendit. Elle accéléra le rythme de ses mains. Un nouveau brin lâcha, suivit d’un autre. Les cliquetis avaient repris au fond du tunnel, se mêlant à d’autres bruits rappelant des claquements de doigts et des roulements de tambours. Claire les ignora tant qu’elle le pouvait et se concentra d’avantage sur son œuvre. Quelque minutes plus tard, la corde se relâcha entièrement, soulageant ses poignets. Mais le sourire de victoire qui s’était dessiné sur ses lèvres s’effaça aussitôt lorsqu’elle perdit l’équilibre et tomba à la renverse. Le tunnel s’était mis à tournoyer et à vrombir – un sourd vrombissement qui avala les cris de la jeune fille. Son corps se plia en deux et fut jeté de tous les côtés. Sa tête se heurta violemment contre la paroi de la machine, elle vit des étoiles et perdit connaissance.

- Ne la touchez pas, chuchota une voix lointaine.
- Vous dîtes qu’elle est apparue ici ? demanda une autre qui semblait plus proche.
Claire sentit une main aussi douce que la soie glisser sous ses cheveux. Elle cherchait son pouls. Une fois qu’elle la trouva, elle la retira brutalement comme si elle avait touché du feu.
- Elle est vivante ! s’écria quelqu’un.
Il s’ensuivit une flambée de protestations.
- Mais que va-t-on en faire ? s’indigna la voix grave d’un homme. C’est terrible. On ne peut pas la garder ici.
- C’est un problème en effet.
Claire n’osa pas bouger. Elle était étalée sur un objet dur, sur le dos. Son esprit se réveilla peu a peu et les douleurs avec. Elle s’était probablement cassé un poignet. Sa main était dans une position pour le moins inconfortable. La bouger pourrait empirer la douleur. Elle décida donc de la laisser ainsi.
- Elle est blessée, fit remarquer a voix grave. Que lui est-il arrivé ?
- C’est un autre problème.
La même main qui avait cherché son pouls s’aventura sur son poignet. Cette fois, elle était fraiche ou même froide. Elle caressa la blessure de Claire et la soulagea. La douleur s’atténua au fur à mesure que les doigts de sa bienfaitrice se baladait de long en large autour de son poignet. Et bientôt, elle ne ressentit plus rien. De la magie ? se demanda Claire. Si elle l’avait soigné, pensa-t-elle, c’est qu’elle ne lui voulait pas de mal. La dame aux doigts doux et froids s’adonnait désormais à soulager ses autres blessures, les uns après les autres, suivant la même méthode. Son bras gauche, son front puis ses jambes.
- Voilà, fit la dame une fois qu’elle eut fini.
Sa voix indiqua qu’elle s’était éloignée.
- Tu peux maintenant ouvrir tes yeux, ajouta-t-elle.
Il n’y avait aucun doute. Elle s’était adressée à Claire. Cette dernière avala sa salive et ouvrit lentement ses paupières. La lumière l’aveugla. Il lui fallu un certain avant de s’en accoutumer de nouveau. Combien de temps avait-elle avait été dans la machine, elle ne pouvait le savoir. Mais au moins une nuit, car le soleil venait à peine de se coucher lorsque le cambrioleur s’était introduit chez eux pour finir par l’enfermer dans cette machine étrange au sous-sol.
Trois visages étaient penchés sur elle. Le premier, celui de sa bienfaitrice, était encadré par des cheveux gris qui chatouillaient les joues de Claire. Elle avait un petit nez rondelet et des lèvres pulpeuses, comme si une abeille les avait piquées. Ses yeux étaient d’un noir si profond qu’on aurait pu s’y perdre. D’ailleurs Claire détourna le regard et posa ses yeux sur le visage à ses côtés. Un homme – probablement celui avec la voix grave – la dévisageait. Mais elle n’aurait pu lire son regard, car ses yeux étaient enfouis entre les rides de ses paupières et la touffe que formait ses sourcils blancs et broussailleux. Sa barbe chatouillait la main désormais guérie de Claire. Le vieillard avait plus de poils sur son visage que de peau. Le dernier visage au-dessus d’elle était celui d’un petit garçon qui devait avoir à peu près l’âge de son petit frère, soit une dizaine d’année. L’excitation se lisait dans ses pupilles.
- Alors ? fit-il, son sourire allant d’une oreille à une autre.

J'ai bien aimé le texte. Les dialogues était bien aussi ainsi que les descriptions. Je me demande où elle a atterrie.

merci Lian! c'est une histoire à suivre

Bravo pour ton texte ! ça se lit tout seul, même si j'étais un peu perdue au début (où l'emmenait le cambrioleur), mais c'est très bien écrit, on se pose les mêmes questions que l'héroïne. Je me demande juste si c'est logique qu'on connaisse le nom du cambrioleur -> est-ce que Claire le connaît ?
Bref, bravo et merci pour ta participation !