Atelier 30 01 22 Sortilège : Maladresse légendaire

La porte s’ouvrit brusquement sous le nez de Mélissa, dévoilant une jeune femme échevelée et son tablier de cuisine couvert de taches.
« Salut ! Merci d’être venue ! Allez, entre.
- Ça va ? Ma pauvre, t’as l’air dans tous tes états !
- Oui, tout va bien, c’est génial ! Pour l’instant j’ai juste cassé trois verres et une assiette, et j’ai failli me tordre la cheville qu’une seule fois, donc touuuuut va bien ! Oh, et mes talons, bien sûr ! Tu m’as apporté…
- T’en fais pas pour ça. »
Mélissa passa le seuil et sortit deux paires de chaussures de son sac en plastique.
« J’ai pris des compensés, hein, pas des talons aiguilles…
- Nickel ! Tu me sauves la vie !
- Toujours plus, Noélie… rigola-t-elle. Yannick n’est pas là ? Je croyais qu’il devait poser l’aprèm pour t’aider…
- C’était ce qu’il comptait faire, en plus le repas aurait été meilleur, vu qu’il cuisine bien mieux que moi, expliqua la jeune femme en fonçant vers le salon, mais son connard de boss l’a obligé à annuler son congé parce qu’il a décidé au dernier moment de coller une réunion importante avec l’équipe du Québec…
- Mais il a le droit de…
- J’en sais rien, mais en tout cas il se gêne paAAH… ! MERDE ! »
Elle s’était baissée pour poser les chaussures dans un coin, mais en se relevant, son coude avait bousculé un vase, l’envoyant s’écraser sur le sol.
« C’est pas vrai ! »
Elle se précipita vers le rouleau d’essuie-tout qui trônait sur la table à manger, manquant de déraper avant de l’atteindre. Mélissa secoua la tête en soupirant. Elle ferma les yeux, agita les doigts vers les dégâts et, le temps que Noélie se retourne, le vase s’était reconstitué et avait retrouvé sa place sur la commode. La jeune femme le considéra une seconde avec des yeux ronds, avant de diriger son regard vers son amie.
« Merci, mais je gère, d’accord ?
- Oui, ça m’en a tout l’air, ironisa-t-elle.
- Je PEUX gérer, OK ?
- Et moi je peux t’aider en quelques claquements de doigts…
- Ben voyons, ricana-t-elle. Tu es pratiquement aussi douée avec ta magie que moi avec ma maladresse légendaire.
- Eh ! Je viens de réparer ton vase ! J’ai fait de grands progrès, ces derniers temps, je te signale.
- Ravie pour toi. Et encore merci, mais je peux gérer la situation toute seule, d’accord ? Je suis une grande fille, je suis capable de préparer le dîner de rencontre avec mes futurs beaux-parents toute seule. »
Elle prit une grande inspiration et le répéta à voix plus basse, pour s’en convaincre elle-même :
« J’en suis capable…
- Oh, bien sûr que oui, ma chérie ! s’empressa de confirmer Mélissa en venant prendre son amie dans ses bras. N’empêche, ça aurait peut-être été moins stressant si vous aviez prévu ça pendant le week-end…
- Ah ben non, ça marche pas pour eux le week-end », renifla Noélie.
Elle se détacha de la jeune femme, farfouilla dans ses poches et en sortit un mouchoir.
« Parce que, tu comprends, poursuivit-elle en s’essuyant le nez, le samedi midi c’est repas chez je sais plus qui, le samedi soir c’est bridge, et le dimanche c’est randonnée, donc pas disponibles le midi, et trop fatigués le soir… Bref ! Heureusement que c’était bon pour le mercredi, sinon je sais pas comment j’aurais fait… En plus on est en Semaine A, donc j’ai fini à dix heures. Mais je suis tellement en stress depuis hier soir que ma maladresse atteint des niveaux stratosphériques. J’ai failli me casser la gueule devant les Sixièmes en allant les chercher dans la cour à huit heures, alors qu’il y avait rien, aucun obstacle devant moi… Je me suis juste… Je sais pas, embrouillée les pieds toute seule. »
L’image était comique, mais Mélissa se retint de rire devant le désarroi de son amie.
« Enfin, au moins j’ai pu finir de ranger… Heureusement Yannick avait commencé hier soir. Du coup j’ai pu lancer la préparation du repas plus tôt que…
- Hum, oui, d’ailleurs, en parlant de ça, ça commencerait pas à sentir un peu le brûlé, là ?
- J’ai un cake chèvre-courgette dans le four. Mais ça a pas encore sonné… »
Elle sortit son portable de sa poche, le déverrouilla et ouvrit l’application Horloge… et se décomposa.
« Oh putain… souffla-t-elle. J’avais pas lancé le chrono… »
Elle partit comme une flèche dans la cuisine, suivie de près par son amie.
« Oh merde… Merde !
- Attention, tu vas te cramer ! »
Au final, le cake était seulement très bronzé.
« Oh, bon sang… soupira-t-elle.
- Bah, ça va ! Ça aurait pu être pire. »
Mélissa tendit la main vers le plat, mais hésita et la laissa retomber.
« En fait, je… Je préfère éviter de trafiquer la nourriture… C’est pas vraiment ma spécialité. On sait jamais…
- Oui, laisse tomber. J’ai pas envie d’empoisonner beau-papa et belle-maman. Déjà qu’ils risquent de s’étouffer s’ils mangent ça, tellement ça va être sec…
- Écoute, je peux rien pour la cuisine, mais… »
Le téléphone de Mélissa vibra dans sa poche.
« Mince… Je vais être en retard…
- Vas-y ! Et merci pour les chaussures !
- Non, attends ! Je peux rien pour la cuisine, répéta-t-elle, mais je peux t’arranger le salon et mettre la table, ça me prendra deux minutes.
- Ma chérie, je te remercie, lui répliqua-t-elle en la poussant vers la sortie, mais je t’ai déjà dit que je gérais.
- Mais…
- Je peux y arriver toute seule. Je VEUX y arriver toute seule, bon sang ! s’énerva-t-elle. Tu comprends ?
- D’accord, d’accord ! »
Elles se serrèrent dans les bras mais, au moment où sa main toucha la poignée de la porte, Mélissa se figea.
« Oh ! Je sais ! Laisse-moi juste te donner un petit coup de pouce…
- Je t’ai dit…
- Je vais rien faire à ta place ! C’est un truc que m’a montré Patrick y a pas longtemps. Ça va t’empêcher d’être maladroite pour le restant de la journée.
- Quoi ? Attends, tu veux lancer un sort sur moi ?
- Bouge pas.
- Ça va pas la tête ? Hors de question !
- Je proposerais pas si j’étais pas sûre de mon coup. Reste là ! »
Noélie battit en retraite vers le salon.
« Non, pas question ! Je veux pas me retrouver avec des furoncles sur le nez !
- Arrête tes bêtises !
- C’est ce qui était arrivé à Alicia Mernier la dernière fois !
- J’avais douze ans ! Arrête de bouger !
- Nooon ! »
Noélie plongea derrière le canapé, mais trop tard. Une gerbe de lumière explosa et l’enveloppa, noyant son cri dans un bruit de tonnerre. Recroquevillée à terre, les oreilles bourdonnantes, les yeux plissés, la jeune femme ressentit des picotements dans tout le corps. Lorsque la sensation s’apaisa, elle souleva prudemment les paupières.
Mélissa se tenait au-dessus d’elle, et l’aida à se redresser.
« Me touche pas ! siffla-t-elle, furieuse.
- Fais pas la gueule ! Regarde, rétorqua-t-elle en lui fourrant un miroir de poche sous le nez. Aucun furoncle.
- Sors de chez moi ! s’écria-t-elle en la tirant par le poignet.
- D’accord, d’accord… Mais tu verras, tout se passera très bien, à partir de maintenant. Plus de verre cassé, plus de chute, plus d’oubli de minuteur ! Et ce pendant douze heures. Enfin, plus ou moins…
- Plus ou moins quoi ?
- Euh… Plus ou moins une heure ou deux, j’imagine… Mais bref, ça te laisse largement assez de temps pour ton diner !
- Au revoir ! »
Elle claqua violemment la porte derrière elle, et s’y adossa en gémissant.
« C’est pas vrai… »
Elle se précipita dans la salle de bain, montant les marches de l’escalier quatre à quatre, et s’examina sous toutes les coutures devant le grand miroir.
Rien.
Elle finit par se résoudre à redescendre, malgré son angoisse. Elle avait encore des préparatifs à faire. Mais je te retiens, Mélissa Park. Tu l’emporteras pas au paradis, celle-là. Si jamais il se passe le moindre truc, je te jure… fulmina-t-elle.
Ce ne fut qu’à la fin de l’après-midi qu’elle réalisa que, depuis la visite de son amie, elle n’avait rien cassé. Elle n’était pas non plus tombée, et n’avait rien fait brûler. Était-il possible que le sort ait marché ? Même en allant s’habiller, elle ne coinça pas la petite fermeture éclair de sa robe, alors qu’il lui fallait toujours dix minutes pour parvenir à la remonter, à chaque fois qu’elle la mettait. Et elle ne se tordit pas la cheville en redescendant l’escalier, même avec les chaussures à talons.
Lorsque la porte d’entrée claqua, elle était assise sur le canapé, et revivait le déroulé de l’après-midi dans sa tête, avec ahurissement.
« Chérie ! Je suis rentré !
- Je suis là ! »
Yannick se hâta vers elle, et se pencha pour l’embrasser.
« Tu es magnifique !
- Merci…
- Encore désolé de pas avoir pu…
- T’en fais pas, c’est pas ta faute. Et je me suis débrouillée ! Sans trop trop de dégâts… Va vite te doucher et te changer avant que tes parents n’arrivent. »
Lorsque leurs invités arrivèrent enfin, Noélie, très stressée, fut de son mieux pour le cacher.
« Bonjour ! Bienvenue ! Je vais prendre vos manteaux… »
Ne tombe pas… Ne tombe pas devant eux. Là. C’est bon. C’est bien. Bon, il faudra peut-être que je rappelle Mélissa pour la remercier, en fait. Elle laissa Yannick installer ses parents au salon, et se chargea de prendre le plat de bouchées d’apéritif qu’elle avait miraculeusement songé à enlever du frigo quelques minutes avant leur arrivée, pour ne pas qu’elles soient glacées. Tenant fermement le plat à deux mains, elle le porta vers la table basse où étaient réunis les convives.
« Oh ! C’est magnifique ce que vous nous avez préparé là », approuva Mme Portier.
Elle n’eut pas le temps de la remercier.
Le plateau lui échappa des mains et s’écrasa violemment sur la table, envoyant le guacamole, les crevettes et le houmous asperger tout le monde.
Après une seconde de sidération, un cri hystérique jaillit de la gorge de la jeune femme :
« MELISSAAAAA ! »

J'ai bien ri en lisant ton texte ^^ Y a juste eu une ou deux fois où j'ai eu du mal à comprendre de qui tu parlais en disant par exemple "la jeune femme", mais c'est tout. Tu as bien carburé en 1h30 !

Merci pour ton retour !
Oui en effet, je voulais pas répéter les prénoms tout le temps, mais j'ai pas trouvé autre chose que "la jeune femme" sur le moment, du coup c'est effectivement pas très clair ^^'
J'écris BEAUCOUP plus lentement d'habitude, mais le concept d'atelier d'écriture me booste vachement ^^

Les "plus ou moins douze heures..." qui s'achèvent au pire moment ! XD

J'ai beaucoup aimé ton texte ! On se rend bien compte de l'ambiance et les personnages sont bien caractérisés grâce aux dialogues ! ça se lit tout seul, bravo ! (mon moi chiant aurait préféré un peu plus de description, comme pour le cake cramé ou autre, mais ça aurait sûrement donné un texte moins vif) Bravo !

@Rosario_gnd Le pire timing possible, en effet XD (mais peut-être que ça peut mettre de l'ambiance dans la soirée, qui sait ^^')

@Christelle Merci beaucoup pour ton avis ! Contente que ça t'ait plu

Dis, ce sort contre la maladresse, y'a moyen de tester ? Je demande pour une amie bien sûr J'ai bien rigolé j'ai senti toute la détresse de la pauvre Noélie qui voulait faire les choses bien mais les faisaient extrêmement mal au final xD Je me suis beaucoup reconnue en elle ^^ Très bien écrit et très riche, j'ai vraiment aimé ton texte RIP le guacamole, les crevettes et le houmous

Merci beaucoup !!
En vrai ça me serait très utile à moi aussi, ce genre de sort Mais je crois qu'il nous faudrait quelqu'un de plus compétent que Mélissa pour nous le lancer