Un bleu à l'âme
- Ecrivain_escargot
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Un bleu à l'âme
– Écoute, Anastasia… Je suis désolée, mais je veux plus être vue avec toi. Entre tes cheveux roses et tes lunettes de trois centimètres, les autres se moquent de nous et j’en ai marre.
Ma seule et unique amie cligne des yeux pour retenir les larmes qui montent. Une seule s’échappe. J’ai presque envie de la rattraper. Elle roule et laisse une trace noire sur son passage avant de mourir sur son t-shirt rose, lui aussi.
Anastasia voit la couleur partout. Elle me dit que je suis rose moi aussi quand je me tourne vers elle. J’ai jamais vraiment compris.
– Pourquoi ?
Avant de flancher, je réponds d’une traite.
– Méline et ses copines m’ont proposé de passer le week-end avec elles. On campe au bord du lac demain soir.
Ce que je ne dis pas, mais qu’Anastasia comprend très bien, c’est que Méline est la fille de 3ème la plus populaire du collège. Les garçons se battent pour porter ses affaires tandis qu’Anastasia se fait harceler depuis la primaire pour un tas de raison : ses lunettes qui ressemblent à des loupes, ses cheveux qui changent de couleur tous les mois. On dirait qu’elle s’en fiche.
C’est pas que je ne l’apprécie pas. Je me souviendrai toujours d’elle et de nos soirées devant le dernier Disney, ou la dernière série Netflix.
Le problème, c’est que Méline a été claire : si je veux passer du temps avec elle, il faut que j’abandonne ma plus vieille copine. Alors j’ai pesé le pour et le contre toute la semaine.
Le contre est facile à décortiquer : garder ma copine et en mettre plein la tête à une des filles les plus superficielles que je connaisse.
Le pour est plus complexe mais presque assommant : devenir une fille qu’on regarde pour autre chose que balancer des remarques acerbes, côtoyer des gens populaires avec tous les avantages qui vont avec, me rapprocher de Jordan qui ne sait même pas que j’existe alors que je m’amuse à le prendre en photo dès qu’il a le dos tourné. Il est tellement beau avec ses cheveux de jais et ses yeux bleus. Bon sang, rien que d’y penser, je tiens à peine sur mes jambes.
Au final une fois tout ça mis dans la balance, mon amitié pour Anastasia pèse lourd, mais pas encore assez. Et puis ce matin Méline en a remis une couche. Elle m’a dit que Jordan venait aussi, avec un clin d’œil.
Pendant que je rêve éveillée, Anastasia range ses cahiers dans son sac et sort de la salle 107. Je renifle. Il faut que je sois forte. Ce qui m’attend vaut tous les sacrifices.
Samedi
Je viens de monter deux tentes. Paraît que je suis très douée alors on m’a demandé de faire celle de Méline d’abord – elle sort de l’esthéticienne – et maintenant les autres attendent près du lac, comme si j’étais leur domestique. Et dire que mes parents étaient contents que je vois d’autre personnes… Je ne vais pas pouvoir leur raconter cette partie-là.
La dernière sortie camping que j’ai fait, c’était avec Anastasia. À chaque fois, on en profite pour faire la compétition. Première arrivée au bord du lac. Première tente montée. Première en maillot de bain. Elle m’arrache un sourire même à distance.
– Tu rêvasses à quoi, Marie ? On en a besoin pour se changer.
À pas chaloupé dans sa robe transparente et hyper échancrée, Méline s’est approchée de moi. Jordan se tient juste derrière.
En sueur dans mon vieux t-shirt et mon jean couvert de sable, je hausse les épaules et me penche sur la troisième tente.
– Tu veux de l’aide ? me demande Jordan avant d’être arrêté par Méline qui le prend par le bras pour le ramener vers le lac.
Elle minaude, accrochée à lui, et se met à babiller. Au moins, il ne peut pas voir mes joues cramoisies.
– Elle se débrouille très bien toute seule, ne t’inquiète pas. Parle-moi plutôt de ton dernier match de foot. T’étais tellement impressionnant, j’arrive pas à l’oublier…
Il jette un dernier coup d’œil en arrière avant de grimacer. Ouais, je dois pas avoir besoin d’aide avec mon mètre soixante-dix et mes épaules de nageuse. Au temps pour moi.
Est-ce que je regrette ? Un peu. Est-ce que je vais finir par entrer dans leur club ultra sélectif ? Sans doute. Alors je ravale ma fierté et je plante le premier piquet de cette maudite tente.
Malheureusement, il part en lambeaux sous mon petit marteau. Oups. J’ai dû taper trop fort. La faute à Méline aussi qui me prend pour sa bonne. Pas grave, il y en a trois autres. Je me lance sur le deuxième qui s’écrase avec un bruit de bois parti finir sa vie sous un camion.
Luttant contre mon sentiment de bêtise totale, je tourne la tête vers le lac. Ils sont tous en train de siroter une bière – encore un truc que je ne pourrai pas dire à mes parents – sans se préoccuper de ce que je fais. Sauf peut-être Jordan encore une fois, raison de plus pour fantasmer sur lui, qui m’adresse un petit signe de la main.
J’attends qu’il reprenne sa conversation passionnante avec Méline et son décolleté pour foncer vers le bois qui nous protégera cette nuit du vent. Autant aller le plus loin possible, personne n’aura l’idée de regarder, mais on ne sait jamais ! À une cinquantaine de pas de la lisière, je m’arrête et je commence à fouiller le sol. Il est couvert de brindilles toutes plus fines les uns que les autres.
À quatre pattes sur le mélange de terre et de sable, je cherche le bon bout de bois, celui que je vais pouvoir couper avec mon couteau-suisse et enfiler dans le sol avec assez de force pour tenir la tente avec le petit crochet et tout. J’en ai pour au moins une demi-heure.
– Tu t’es perdue ?
Je sursaute, tombe en arrière et presse ma main contre ma cuisse, là où j’ai rangé mon couteau.
Un homme d’une cinquantaine d’année me surplombe, dans un genre de robe blanche, comme les grecques. J’ai raté l’ouverture de l’asile local ?
– Ne sois pas si inquiète. Je suis venu t’aider.
Je ravale un rire nerveux.
– Vous avez des piquets sous votre robe ?
L’envie me démange de me taper la tête contre le tronc d’arbre le plus proche. C’est pas ça qu’il faut dire à un gars louche en robe rencontré au milieu d’un bois… Qu’est-ce que je peux être stupide parfois.
Malgré tout, il arque un sourcil et s’esclaffe. Pendant ce temps là, je me mords les lèvres comme si je pouvais me bouffer et devenir assez petite pour me cacher dans un trou de souris. Il doit bien y en avoir dans le coin, non ?
Quand il s’arrête enfin, c’est pour me tendre la main. Je l’attrape et passe un coup rapide sur mon pantalon. Autant mourir digne.
– Non, c’est pour un autre problème que je me propose d’intervenir. Il me semble que votre jugement est quelque peu détourné de sa fonction première ces temps-ci.
Je cligne des yeux. Quoi ?
– Qui êtes-vous ? Vous me connaissez ?
L’homme prend une grand inspiration et m’attrape les mains.
– Il n’est pas nécessaire de te connaître pour ressentir ton désarroi. Et quant à mon identité, nous dirons que je suis un ami. Ça te va, un ami ?
Avec un sentiment de paix que j’ai rarement connu avec quelqu’un d’autre qu’Anastasia, je hoche la tête, prête à poursuivre la conversation la plus étrange de ma vie.
Il esquisse un sourire mais son regard trahit une extrême concentration. Je m’y perds un instant hors du temps. Sous ses yeux qui m’hypnotisent, une lueur jaune apparaît. Elle prend le pas sur tout ce qui nous entoure, elle m’engouffre et s’enfonce jusqu’aux tréfonds de mon âme. Je la sens qui palpite, petite boule cachée sous la coquille de chair. Elle est rose. D’un rose pâle, comme les cheveux d’Anastasia. Bouleversée, je sens un flot de larmes qui remonte de ce bonbon jusqu’à mon visage. Et puis la lueur disparaît, avalée par l’homme en face de moi. Je vois toujours ses yeux, pourtant son corps a disparu. Mes paupières clignent pour chasser le trop plein d’émotion.
Je suis seule au milieu de la forêt.
– Marie ! Marie !
On hurle mon prénom au loin. Sans plus penser à mon apparence, j’attrape le bas de mon t-shirt pour essuyer mes joues trempées.
Un multitude de couleurs me sautent aux yeux. Du bleu, du marron, du gris, du noir, du rouge. Toutes foncées. Trop sombres pour mon âme qui se recroqueville dans sa carapace.
J’ai beau frotter mes yeux, à part les arbres qui se penche affectueusement sur moi, je ne vois plus que des taches de couleurs qui parlent.
– Tu vas bien ?
– On s’inquiétait.
– Et nos tentes, tu y a pensé ?
Je plie les bras devant moi pour me protéger. Dans le kaléidoscope de ténèbres, une lueur rouge se fait plus pressante. Elle a la même voix que Jordan.
– Arrête un peu Méline, t’es cruelle, là.
Méline, en noir, l’attrape pour l’éloigner.
– On était d’accord pour se moquer d’elle, c’était notre attraction du week-end. T’as oublié ? C’est même toi qui l’as proposée.
Le rouge s’assombrit tandis que les autres couleurs m’envahissent.
Mes bras se déplient d’eux-mêmes pour m’offrir l’espace dont j’ai besoin.
– Ça suffit. Je m’en vais.
Aujourd’hui
Le bleu pâle qui entoure Anastasia ne s’assombrit que quand elle se tourne vers moi, ce qu’elle évite au maximum de faire.
Mes parents m’ont punie pour les semaines à venir, histoire que je n’oublie pas que j’ai merdé. Ça ne risque pas… Ma vision est un mélange de couleurs qui refuse de s’éteindre.
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- Martatin
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Re: Un bleu à l'âme
C'était trop cool ! Hyper prenant et mystérieux, au début je me demandais un peu pourquoi le drama adolescent (même si c'est toujours croustillant) jusqu'à ce que l'élément sortilège rentre en jeu ! C'était prenant, j'ai beaucoup aimé la résolution, même si un peu triste ^^
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
C'est super gentil.
En fait j'ai pas écrit la fin encore... j'ai pas eu le temps
Mais Marie va tout faire pour récupérer Anastasia et se rendre compte que ben c'est d'elle qu'elle est amoureuse depuis tout ce temps. Et ça elle va le voir grâce à son âme qui brille plus fort en sa présence.
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- Martatin
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Re: Un bleu à l'âme
Ecrivain_escargot a écrit:Oh merci Maretatin ^^
C'est super gentil.
En fait j'ai pas écrit la fin encore... j'ai pas eu le temps
Mais Marie va tout faire pour récupérer Anastasia et se rendre compte que ben c'est d'elle qu'elle est amoureuse depuis tout ce temps. Et ça elle va le voir grâce à son âme qui brille plus fort en sa présence.
JE LE SAVAIS !
Pardon, je shippais de fou x') Hâte de lire la suite, en tout cas !
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
Hâte d'écrire la suite en tout cas ^^
Et maintenant, je file lire ton histoire !
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Re: Un bleu à l'âme
J'avais pas forcément compris que c'était les âmes qu'elle voyait (ce qui est normal à ce stade de l'histoire), mais toute cette histoire de couleurs était très mystérieuse ! Ton texte est très immersif j'aime beaucoup Bravo !
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- Rosario_gnd
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Re: Un bleu à l'âme
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- Daikitumichi
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Re: Un bleu à l'âme
Je suis contente de lire que ça se finira bien pour elle et Anastasia !
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
Icegvrn a écrit:Coucou,
J'avais pas forcément compris que c'était les âmes qu'elle voyait (ce qui est normal à ce stade de l'histoire), mais toute cette histoire de couleurs était très mystérieuse ! Ton texte est très immersif j'aime beaucoup Bravo !
Merci ^^
C'est dur de pas avoir le temps de se relire. J'ai peur de vous faire saigner les yeux en postant mes trucs
- LayZoreye
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Re: Un bleu à l'âme
Mon premier amour (en cachette) à l'époque où on se fichait de moi au collège, c'était Jordan.
Et mon chéri de maintenant voit les couleurs des gens....
ça fait BEAUCOUP ahaha ! X'D
On sent que ton écriture coule toute seule, c'est très chouette à lire =)
J'ai un peu l'impression de retrouver mon style d'écriture de mes années lycée si je puis me permettre
C'était avant de faire du Prévert, ahah !
Enfin bref, hâte de lire la suite avec Anastasia. Sa description me plait beaucoup, avec ses grosses lunettes ^^
Faudrait faire un dessin =P
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
Oui, Marie est comme tous les ados du monde. C'est dur et ça fait mal.
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
En tout cas merci pour ce joli retour, ça fait plaisir.
Je suis sortie du lycée il y a longtemps pourtant hihi et à l'époque c'était vachement plus ampoulé ce que j'écrivais. En même temps, fallait voir les exercices qu'on nous faisait faire... Écrire à la façon de Zola (je déteste Zola, grand traumatisme).
Tu parles de Prévert parce que tu écris de la poésie ? (ou alors je suis tellement naïve que j'ai rien compris... j'ai envie de pencher pour la 2ème proposition...).
- Daikitumichi
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Re: Un bleu à l'âme
Ecrivain_escargot a écrit:Merci Daikitumichi ^^ Merci Rosario ^^ Ça me fait plaisir
Oui, Marie est comme tous les ados du monde. C'est dur et ça fait mal.
Mais j'y pense, tu aurais pas joué à Life is strange : True colors ? J'y ai pas encore joué moi-même, mais l'héroïne peut elle aussi voir la couleur de l'âme des gens, du coup ça m'y a fait penser xD
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- MarieDraws25
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Re: Un bleu à l'âme
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Re: Un bleu à l'âme
Daikitumichi a écrit: Mais j'y pense, tu aurais pas joué à Life is strange : True colors ? J'y ai pas encore joué moi-même, mais l'héroïne peut elle aussi voir la couleur de l'âme des gens, du coup ça m'y a fait penser xD
Non pas du tout. Je connais même pas. Par contre, ça fait partie intégrante d'une idée de fantasy YA à laquelle je pense très souvent.
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
J'ai bien envie d'écrire la suite cette semaine mais sans gros rush comme aujourd'hui. J'ai pas encore relu, mais je pense qu'il y a plein de trucs à reprendre...
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- ChristopherLit
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Re: Un bleu à l'âme
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- Anna_Ourtlas
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Re: Un bleu à l'âme
La suite ! La suite ! On veut la suite !
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
Et je suis en train d'écrire la suite
Christopher, ça me fait tellement plaisir ce que tu dis ^^ Merci beaucoup
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
Un bleu à l’âme
Vendredi après-midi
– Écoute, Anastasia… Je suis désolée, mais je veux plus être vue avec toi. Entre tes cheveux roses et tes lunettes de trois centimètres, les autres se moquent de nous et j’en ai marre.
Ma seule et unique amie cligne des yeux pour retenir les larmes qui montent. Une seule s’échappe. J’ai presque envie de la rattraper. Elle roule et laisse une trace noire sur son passage avant de mourir sur son t-shirt rose, lui aussi.
Anastasia voit de la couleur partout. Elle me dit que je suis rose moi aussi quand je me tourne vers elle. J’ai jamais vraiment compris.
– Pourquoi ?
Avant de flancher, je réponds d’une traite.
– Méline et ses copines m’ont proposé de passer le week-end avec elles. On campe au bord du lac demain soir.
Ce que je ne dis pas, mais qu’Anastasia comprend très bien, c’est que Méline est la fille de 3ème la plus populaire du collège. Les garçons se battent pour porter ses affaires tandis qu’Anastasia se fait harceler depuis la primaire pour un tas de raison : ses lunettes qui ressemblent à des loupes, ses cheveux qui changent de couleur tous les mois. On dirait qu’elle s’en fiche.
C’est pas que je ne l’apprécie pas. Je me souviendrai toujours d’elle et de nos soirées devant le dernier Disney, ou la dernière série Netflix.
Le problème, c’est que Méline a été claire : si je veux passer du temps avec elle, il faut que j’abandonne ma plus vieille copine. Alors j’ai pesé le pour et le contre toute la semaine.
Le contre est facile à décortiquer : garder ma copine et en mettre plein la tête à l'une des filles les plus superficielles que je connaisse.
Le pour est plus complexe mais presque assommant : devenir une fille qu’on regarde pour autre chose que balancer des remarques acerbes, côtoyer des gens populaires avec tous les avantages qui vont avec, me rapprocher de Jordan qui ne sait même pas que j’existe alors que je m’amuse à le prendre en photo dès qu’il a le dos tourné. Il est tellement beau avec ses cheveux de jais et ses yeux bleus. Bon sang, rien que d’y penser, je tiens à peine sur mes jambes.
Au final une fois tout ça mis dans la balance, mon amitié pour Anastasia pèse lourd, mais pas encore assez. Et puis ce matin Méline en a remis une couche. Elle m’a dit que Jordan venait aussi, avec un clin d’œil.
Pendant que je rêve éveillée, Anastasia range ses cahiers dans son sac et sort de la salle 107. Je renifle. Il faut que je sois forte. Ce qui m’attend vaut tous les sacrifices.
Samedi
Je viens de monter deux tentes. Paraît que je suis très douée alors on m’a demandé de faire celle de Méline d’abord – elle sort de l’esthéticienne – et maintenant les autres attendent près du lac, comme si j’étais leur domestique. Et dire que mes parents étaient contents que je vois d'autres personnes… Je ne vais pas pouvoir leur raconter cette partie-là.
La dernière sortie camping que j’ai faite, c’était avec Anastasia. À chaque fois, on en profite pour faire la compétition. Première arrivée au bord du lac. Première tente montée. Première en maillot de bain. Elle m’arrache un sourire même à distance.
– Tu rêvasses à quoi, Marie ? On en a besoin pour se changer.
À pas chaloupé dans sa robe transparente et hyper échancrée, Méline s’est approchée de moi. Jordan se tient juste derrière.
En sueur dans mon vieux t-shirt et mon jean couvert de sable, je hausse les épaules et me penche sur la troisième tente.
– Tu veux de l’aide ? me demande Jordan avant d’être arrêté par Méline qui le prend par le bras pour le ramener vers le lac.
Elle minaude, accrochée à lui, et se met à babiller. Au moins, il ne peut pas voir mes joues cramoisies.
– Elle se débrouille très bien toute seule, ne t’inquiète pas. Parle-moi plutôt de ton dernier match de foot. T’étais tellement impressionnant, j’arrive pas à l’oublier…
Il jette un dernier coup d’œil en arrière avant de grimacer. Ouais, je dois pas avoir besoin d’aide avec mon mètre soixante-dix et mes épaules de nageuse. Au temps pour moi.
Est-ce que je regrette ? Un peu. Est-ce que je vais finir par entrer dans leur club ultra sélectif ? Sans doute. Alors je ravale ma fierté et je plante le premier piquet de cette maudite tente.
Malheureusement, il part en lambeaux sous mon petit marteau. Oups. J’ai dû taper trop fort. La faute à Méline aussi qui me prend pour sa bonne. Pas grave, il y en a trois autres. Je me lance sur le deuxième qui s’écrase avec un bruit de bois parti finir sa vie sous un camion.
Luttant contre mon sentiment de bêtise totale, je tourne la tête vers le lac. Ils sont tous en train de siroter une bière – encore un truc que je ne pourrai pas dire à mes parents – sans se préoccuper de ce que je fais. Sauf peut-être Jordan encore une fois, raison de plus pour fantasmer sur ses yeux bleus, qui m’adresse un petit signe de la main.
J’attends à regret qu’il reprenne sa conversation passionnante avec Méline et son décolleté pour foncer vers le bois qui nous protégera cette nuit du vent. Autant aller le plus loin possible, personne n’aura l’idée de regarder, mais on ne sait jamais ! À une cinquantaine de pas de la lisière, je m’arrête et je commence à fouiller le sol. Il est couvert de brindilles toutes plus fines les unes que les autres.
À quatre pattes sur le mélange de terre et de sable, je cherche le bon bout de bois, celui que je vais pouvoir couper avec mon couteau-suisse et enfiler dans le sol avec assez de force pour tenir la tente avec le petit crochet et tout. J’en ai pour au moins une demi-heure.
– Tu t’es perdue ?
Je sursaute, tombe en arrière et presse ma main contre ma cuisse, là où j’ai rangé mon couteau.
Un homme d’une cinquantaine d'années me surplombe, dans un genre de robe blanche, comme les grecques. J’ai raté l’ouverture de l’asile local ?
– Ne sois pas si inquiète. Je suis venu t’aider.
Je ravale un rire nerveux.
– Vous avez des piquets sous votre robe ?
L’envie me démange de me taper la tête contre le tronc d’arbre le plus proche. C’est pas ça qu’il faut dire à un gars louche en robe rencontré au milieu d’un bois… Qu’est-ce que je peux être stupide parfois.
Malgré tout, il arque un sourcil et s’esclaffe. Pendant ce temps, je me mords les lèvres comme si je pouvais me bouffer et devenir assez petite pour me cacher dans un trou de souris. Il doit bien y en avoir dans le coin, non ?
Quand il s’arrête enfin, c’est pour me tendre la main. Je l’attrape et passe un coup rapide sur mon pantalon. Autant mourir digne.
– Non, c’est pour un autre problème que je me propose d’intervenir. Il me semble que ton jugement est quelque peu détourné de sa fonction première depuis quelque temps.
Je cligne des yeux. Quoi ?
– Qui êtes-vous ? Vous me connaissez ?
L’homme prend une grande inspiration et m’attrape les mains.
– Il n’est pas nécessaire de te connaître pour ressentir ton désarroi. Et quant à mon identité, nous dirons que je suis un ami. Ça te va, un ami ?
Avec un sentiment de paix que j’ai rarement connu avec quelqu’un d’autre qu’Anastasia, je hoche la tête, prête à poursuivre la conversation la plus étrange de ma vie.
Il esquisse un sourire mais son regard brûlant trahit une extrême concentration. Je m’y perds un instant hors du temps. Tout s’est arrêté sauf une brise folle qui fait virevolter mes cheveux bruns. À la fois incrédule et rassurée, j’ai l’impression que le vent m’élève hors du sol et pour une raison qui m’échappe, ça ne m’inquiète pas.
Sous ses yeux qui m’hypnotisent, une lueur jaune apparaît. Elle prend le pas sur tout ce qui nous entoure, elle m’engouffre et s’enfonce jusqu’aux tréfonds de mon âme. Je la sens qui palpite, petite boule cachée sous la coquille de chair. C’est plus fort que moi, je me baisse pour l’examiner. Elle est rose. D’un rose pâle, comme les cheveux d’Anastasia. Bouleversée, je sens un flot de larmes qui remonte de ce bonbon jusqu’à mon visage. Et puis quand je relève la tête, je vois la lueur dorée qui se rétracte, avalée par l’homme en face de moi. Je fixe toujours ses yeux, pourtant son corps a disparu. Mes paupières clignent pour chasser le trop plein d'émotions. Je n’aurais pas dû.
Maintenant, il ne reste plus que la nuit et la forêt.
– Marie ! Marie !
On hurle mon prénom au loin. Sans plus penser à mon apparence, j’attrape le bas de mon t-shirt pour essuyer mes joues trempées.
Un multitude de couleurs me sautent aux yeux. Du bleu, du marron, du gris, du noir, du rouge. Toutes foncées. Trop sombres pour mon âme qui se recroqueville dans sa carapace.
J’ai beau frotter mes yeux, à part les arbres qui se penchent affectueusement sur moi, je ne vois plus que des taches de couleurs qui parlent.
– Tu vas bien ?
– On s’inquiétait.
– Et nos tentes, tu y as pensé ?
Je plie les bras devant moi pour me protéger. Dans le kaléidoscope de ténèbres, une lueur rouge se fait plus pressante. Elle a la même voix que Jordan.
– Arrête un peu Méline, t’es cruelle, là.
Méline, en noir, l’attrape pour l’éloigner.
– On était d’accord pour se moquer d’elle, c’était notre attraction du week-end. T’as oublié ? C’est même toi qui l’as proposée.
Le rouge s’assombrit tandis que les autres couleurs m’envahissent.
Mes bras se déplient d’eux-mêmes pour m’offrir l’espace dont j’ai besoin.
– Ça suffit. Je m’en vais.
Aujourd’hui
Le bleu pastel qui entoure Anastasia ne s’assombrit que quand elle se tourne vers moi, ce qu’elle évite de faire au maximum. Je ne peux pas dire que je lui en veux, mais en complète égoïste j’aurais voulu lui demander si elle percevait la même chose que moi, si c’était ça qu’elle essayait de me dire depuis tant d’années.
Je suis patiente. C’est pas grave. On se retrouvera au bon moment.
Pour l’instant, je suis privée de sortie et de téléphone pour un nombre de semaines indéfini, histoire que je n’oublie pas que j’ai merdé. Ça ne risque pas… Je me souviens parfaitement de mon père quand il a été obligé de lâcher son match de foot pour me récupérer sur le bord de la route en pleurs. Un orange presque marron dans tout l’habitacle, l’âme déformée par la colère.
Encore aujourd’hui, ma vision est un mélange de couleurs qui refuse de s’éteindre. Alors j’évite de lever les yeux de mes cahiers en classe, je reste enfermée dans les toilettes pendant la récré et je me calfeutre dans ma chambre une fois chez moi.
On ne va pas se cacher que la popularité attendra encore un peu.
C’est intimidant tout ça. Je vois les humeurs qui changent, l’intention des gens quand ils s’approchent de quelqu’un. Une fluctuation de couleur. Légère, à peine perceptible. Plus pâle avec l’inquiétude, plus vive avec les émotions fortes, assombrie en cas de peine ou de colère sourde.
En ce qui concerne mon âme, même si je la sens palpiter dans tout mon être, j’évite de la regarder. J’ai l’impression qu’elle essaie de me parler, qu’elle a sa propre volonté. Par exemple, chez moi, elle laisse son halo rose bonbon irradier tranquillement. Ça me donne l’impression d’être plongée dans un bac de barbe à papa. C’est doux, c’est chaud, ça me fait du bien.
Par contre, elle brille d’un éclat plus vif, tournant presque au fuchsia, dans les rares moments où Anastasia se trouve à côté de moi. C’est très perturbant. Ça fait plus d’une semaine maintenant et je ne m’y fais toujours pas. Elle me manque c'est sûr, mais est-ce que ça veut dire autre chose ?
Là, on est à la fin du cours de français. La première guerre mondiale et les lettres de poilus. Autant dire qu’on s’est tous bien marré. Jordan, toujours d’un rouge couvert de culpabilité – je le vois parce qu’il y a des pois noirs quand il se tourne vers moi – prend son sac et marche dans ma direction. Je serre les dents pour contrer l’humiliation qui ne va pas manquer d’arriver.
– Salut. Marie, c’est ça ?
On ricane à côté de nous. Super. Et puis Jordan inspire un grand coup avant de se lancer.
– Je suis con, évidemment que t’es Marie. Écoute, je voulais te dire que j’étais désolé pour le week-end au lac. Je sais pas ce qui m’a pris… Je pense que j’ai voulu impressionner Méline, mais en fait ça en valait pas vraiment la peine. C’est pas moi qui l’intéresse, c’est juste mes résultats au foot.
Bouche bée, voilà ce que je suis. Sur mon putain de cul. Encore heureux que la chaise me supporte.
– Excuse acceptée.
Il expire enfin. Dire qu’il a failli s’étouffer pour me dire tout ça. Je ne suis même pas émue par ce qu’il vient de me dire. Ça me passe complètement au-dessus. Mon bonbon rose ne lui fait pas confiance et j’ai envie de me fier à lui.
– Bon, je vais y aller. C’est gentil à toi d’être venu me parler, dis-je en remuant la tête.
Encore une habitude qui joue contre moi. Pas grave. De toute façon, au fond je ne les aime pas.
Maintenant
– Jordan est venu te parler ce matin. Tu dois être contente.
Je lève les yeux du livre qui m’occupait – un roman fantasy emprunté à la bibliothèque – installée en plein courant d’air sur un banc du grand préau. Anastasia est juste en face de moi. Son bonbon bleu est tout pâle, au point où il me donne envie de l’attraper pour le dorloter.
« Ne t’inquiète pas, petit bonbon, tout va bien se passer. »
Pourtant je reste rigide face à ma meilleure amie, mon propre bonbon à peine visible.
– Pas plus que ça. J’ai décidé que je voulais pas être vue avec eux, finalement. Ils sont trop nuls, même pas capables de monter une tente.
Elle rit et ça me détend d’un coup.
– Tu veux être vue avec qui alors ?
Je hausse les épaules et je glisse mes fesses sur la gauche pour lui faire de la place. Mon index vient se croiser sur son voisin.
« Toi, nounouille. »
– J’ai pas encore fait mon choix. Tu connais des volontaires ?
Même si je ne vois pas bien son visage, noyé sous le bleu qui palpite, je sens son regard sur moi. Elle retire son sac à dos et s’installe à côté de moi, sur le banc.
– Je t’en veux encore, tu sais.
– C’est normal. Je cherche encore comment je pourrais me faire pardonner.
– Il paraît que les Gémit Bendrix sont en concert au bar ce week-end.
Je grimace. Pour mon plus grand malheur, Anastasia est amie avec le chanteur de ce groupe au nom dégueulasse.
– Peux pas. Je suis punie.
– Et ça doit te faire tellement de peine, s’esclaffe-t-elle en posant sa main sur ma cuisse.
Ce simple contact me coupe le souffle. Mon âme n’a plus rien d’un bonbon, elle est d’un fuchsia éblouissant. Pourtant, j’ai à peine le temps de sourire que Méline s’avance vers nous. Elle glousse et fait frémir son âme toute noire. Même quand on est pas croyant, ça fiche la frousse. L’enfer, c’est cette âme. La plus noire et la plus malfaisante de tout le collège.
– Alors, la binoclarde, t’as retrouvé ta petite chérie ?
Quoi ?
Anastasia réagit au quart de tour et retire sa main, trop équivoque. Désormais, la petite boule bleue se cache dans sa poitrine et mon amie que je croyais si forte, indestructible, est en fait aussi fragile que nous tous. Elle bredouille mais personne ne l’écoute. Ni moi, qui suis sous le choc ; ni Méline et ses copines, qui veulent juste la faire souffrir.
– Allez, parle plus fort. On t’entend pas bien.
– C’est pas ma chérie. On est juste amies.
Entre deux bruits de cochon qu’elle imagine mignons, Méline glousse à s’en étouffer.
Tout autour de nous, les yeux se braquent sur la scène, avec en vedette la binoclarde aux cheveux roses, la meilleure amie qui l’a fait pleurer une semaine plus tôt, et en face la reine des idiotes et sa clique.
Ma main court jusqu’à Anastasia, elle se pose au creux de ses reins.
Ils veulent du spectacle ? Ils vont en avoir !
– Ana ? Tourne-toi vers moi, s’il-te-plaît, murmuré-je.
Le bonbon bleu s’agite en réponse au mien qui palpite à m’en rendre aveugle.
Ma meilleure amie pose son front contre le mien, des questions sur ses magnifiques iris bleus. Et je souris comme une idiote. Les yeux bleus. C’est la seule chose qui me plaisait chez ce gros nul de Jordan. Pourtant ceux d’Anastasia sont tellement plus beaux, tellement plus vibrants.
Je me penche vers elle et j’attends de voir qu’elle a compris, qu’elle est d’accord. C’est son âme qui me répond avant même son petit hochement de tête. Et je comble les quelques centimètres qui nous séparent, fondant sur ses lèvres parfaites.
Plus rien ne compte autour de nous, pas les jérémiades outrées de la pimbêche de service, pas les moqueries endurées pendant des années. Non, il n’y a plus que nous deux, dans un festival de couleurs vives, symbole d’amour véritable.
Alors, vous en pensez quoi ?
Vous feriez quelles modifications pour améliorer ?
(Et au passage, merci pour toutes vos lectures et vos gentils mots, ça me va droit au cœur.)
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- Daikitumichi
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Re: Un bleu à l'âme
J'ai particulièrement aimé cet extrait: "Bouche bée, voilà ce que je suis. Sur mon putain de cul. Encore heureux que la chaise me supporte."
"Gémit Bendrix": ça, ça m'a fait vraiment rire xD
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- Ecrivain_escargot
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Re: Un bleu à l'âme
En vrai, je suis super contente de finir mon confinement comme ça ! Elle me plaît trop cette histoire
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- Rosario_gnd
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Re: Un bleu à l'âme
C'est une jolie lecture <3
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